Le brin de muguet

Aux Armées
Mai 1940

Dédée,

Je vous écris d'un coin perdu, à environ quinze kilomètres du front. La censure étant particulièrement sévère, je ne puis vous dévoiler le nom du patelin. La semaine fut très dure. Il nous fallut, la nuit, déménager sans cesse. Dieu sait si les allemands nous ont lancé des bombes mais, par moment, non seulement ils sont un petit peu maladroits mais ils prennent des raclées. Ce matin, ils étaient au-dessus de nous. Cela a couardé, ainsi que nous disons ici, pendant près d'une heure. Maintenant, tous ces oiseaux sont partis.

Les canons tonnent

J'ai bien reçu votre lettre, votre colis, et je vous en remercie. Je porte votre pull-over, qui me va très bien. Je ne réussis pas à me débarrasser d'un gros rhume mais dorénavant, avec votre pull, je n'aurai plus grand chose à craindre. Merci, également, pour le délicieux chocolat, partagé avec les camarades. Savez-vous à quoi je songe, à cet instant ? A votre regard si caressant lors de notre charmant déjeuner, tous les deux, dans ce petit restaurant des Glycines, à notre promenade sur la colline. Vous souvenez-vous, Dédée ?

Les canons tonnent

Ici, nous avons été accueillis par cinquante-deux bombardiers ennemis. Et quelles belles cibles faisions-nous sur les routes ! Nous croisions de malheureux luxembourgeois évacuant leur pays, spectacle bien peu réjouissant. Il y a eu des victimes parmi la population civile. Aujourd'hui, c'est dimanche. Oh ! Un bien triste dimanche. Que faites-vous, Dédée ? Pour ma part, j'envisage de filer en forêt afin de cueillir, pour vous, un brin de muguet. Espérons qu'il vous portera bonheur.

Les canons tonnent

Trente-quatre avions boches viennent encore de nous survoler, faisant un vacarme d'enfer. Deux bombes sont tombées dans le champ voisin. C'est la guerre, Dédée. Presque chaque jour, il pleut. Nous rentrons trempés comme des souches. Alors, je pense à vous et regarde votre photographie. Je vous le dis car je ne voudrais pas que vous supposiez que je vous oublie. Ne croyez surtout pas cela ! Ecrivez-moi. Les lettres font tant de bien parfois. Mon nouveau numéro de secteur postal est 12624.

Les canons tonnent

Le moral est bon, j'ai confiance. Je ne veux pas croire que cette guerre durera aussi longtemps qu'on le prétend. Sans doute, ce sera très dur et beaucoup ne reviendront pas. Je n'espère pas être de ceux-là. Cependant, si cela devait arriver, ni vous ni moi n'y pourrions rien. Je joins, à cette lettre, le brin de muguet promis. Il n'est pas très ouvert mais j'ai dû parcourir des kilomètres dans les sous-bois pour le trouver. J'y dépose, pour vous Dédée, le plus doux de mes baisers.

Les canons tonnent



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Marc<br />
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Ecrit par Automnale
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