Le petit malvenu

Il gelait à pierre fendre, ce matin de Noël,
Quand j'allais chez mon père.
Il résidait, alors, en banlieue tourangelle
Et m'appelait, sévère,
"Le petit malvenu".
Il ne voulait pas que je naisse.

*****

Etonné, je le vis, à l'entrée du jardin,
M'attendant, l'air de rien,
Sous un vieux cognassier
Du Japon ou fruitier !
Par ce temps de froidure, il avait fière allure
Avec sa longue écharpe d'étudiant attardé.


Il lisait du Shakespeare ! Un poète dramatique !
Bien sûr, j'en profitais pour épier, en secret,
Sa bouche un peu trop grande,
Ses muscles zygomatiques !
Mais ce qui me frappait, c'était surtout son nez
Bourbonien !


Il avait le regard de ces explorateurs
Craignant, pour la planète, le réchauffement.
Dans ses beaux yeux de bille,
D'agate tourmentée,
J'imaginais le vent, dans l'Oural tournoyant,
Sur le Ienisseï, la glace craquelant.


Je me posais des questions !
Pourquoi ce manteau blanc, à boutons d'officier,
Dissimulant ses pieds ?
Et pourquoi ces brindilles sur des doigts décharnés
Qui ne s'accordaient guère
Avec la bonhomie d'un ventre de notaire ?

*****

Il gelait à pierre fendre, ce matin de Noël,
Quand soudain retentit, comme un cri,
Un appel destiné au petit malvenu
Découvrant, solitaire,
Un bougre populaire sculpté dans l'éphémère :
Un bonhomme de neige !


Automnale




Ecrit par Automnale
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