Au nom d’une pipe en bois

D’abord Mam’zelle Mamours déménagea… Les voisines lui avaient trouvé un caporal sous-chef. La baïonnette au fourreau, il avait le prestige de l’uniforme quand il faisait le planton aux portes de la caserne. Il avait pris du galon en cirant les bottes du sergent ! Ce spécialiste du canon, soulevant plus souvent le coude que la poussière des champs de bataille était en somme un boulet qui avait fait son trou dans l’artillerie lourde. Imbattable en matière de fût… à bière, ses bacchantes fourrageaient en lieux humides plus efficacement que les barbillons d’un poisson barbotant dans son bocal. Mam’zelle Mamours se rangea, elle avait à ses pieds, tout un régiment de dragons.
Les femmes du quartier n’en récupérèrent pas pour autant les services de Josias, le mari d’Olga. Son faible pour la gente féminine devint un état de faiblesse, tout court. Déclaré inapte au service par son ami le Docteur Calamity, le tombeur de ces dames rentra à la maison tête baissée sur sa détresse emmaillotée dans une poupée de charpie.
Et puis comme une volute de fumée, la nouvelle fit le tour du pâté de maison : Olga, la couturière avait remisé ses ciseaux pour se lancer dans le commerce honorable de la pipe. Les amateurs louaient son tour de main pour faire d’un ébauchon brut, une élégante pipe de bruyère et appréciaient les blagues quand Olga briquait avec ardeur les tuyaux en exposition. L’entreprise fit un tabac. Les clients formaient une queue qui n’en finissait sur le trottoir.
Dans l’arrière-boutique, l’éclopé autrefois tout feu tout flamme, ne pipait mots et se consumait d’ennui quand sa femme entre deux bouffées de satisfaction, taillait avec dextérité des chefs d’œuvre d’écume et de bruyère.
Il enragea quand il apprit que la pipière désormais cotée en bourse, lui proposa le calumet de la paix.
– Ne mégote pas ! Le docteur a fait des prodiges en matière de petits points et je m’y connais.
– Tu es bien culottée, fut les derniers mots de Josias avant qu’il ne cassa sa pipe.
Voilà bien où mena la colère d’Olga… Il ne lui resta de Feu son époux qu’un petit tas de cendres qu’elle disposa éplorée dans son éventaire de pots à tabac.




Ecrit par Ann
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