Tout au bout de la rue


Par le seul passage autorisé,
Qui m’a capté jusqu’à vous,
Celui de la lagune de vos yeux
Couleur de jade, bordé de brun,
Mon regard a traversé à gué
Le flot tumultueux de la rue.
Nos yeux soudain se sont rejoints,
Instant intense et singulier.
Sans cesser pourtant de m’observer,
Vous avez rajusté votre voile.

Le feuillage cuivré, finement tatoué
De votre main délicate, troublée,
Est venue tendre l’étoffe et,
A son approche, magnifier plus encore
L’audace limpide de vos yeux.
J’ai tenté un mot maladroit,
Que j’espérais suffisamment courtois.
Au battement furtif de vos cils,
Bijou caché de votre beauté, j’ai su
Que cette langue vous était inconnue.

Je suis resté là, avec pour contenance
La seule arme de mon sourire.
Entre nous glissait l’écran fuyant
De silhouettes de passants pressés,
Sans la moindre chance de débander
Le fil tendu de nos regards croisés.
Votre autre main a saisi la coiffe,
D’où tentait à présent de s’affranchir
La masse moirée de vos cheveux.
Vos yeux se sont soudain allongés,
Vous me rendiez, je l’aurais juré,
Dessiné sous la soie, mon sourire.

Puis un homme, à votre mode vêtu,
Est sorti du commerce voisin,
Où je compris, vous montiez la garde.
Brisant la magie étrange du moment,
Vous l’avez prestement escorté.
Mon regard, rendu à sa cruelle liberté,
Comme la ficelle d’un ballon détaché
Dans un triste ciel de foire, s’est envolé.
De votre silhouette dessinée sous l’étoffe,
Que le vent jouait à gonfler et rabattre,
Sans y croire tout à fait, il a guetté un signe
Qui, impensable folie, n’est jamais venu…

Mais lui, vous a suivi, tout au bout de la rue.




Ecrit par Fregat
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