Carabistouille

– Vous aimez les enfants ! Vous les aimez ? me fit un jour une vieille dame, fière comme un catogan amidonné poussant un landau grand comme un fiacre.
– Pardi que je les aime ! fis-je agacée qu'on me mette des langes puants sous le nez au prétexte que la femme serait l'avenir de l'Homme.
– A la bonheur ! Mais pas autant que moi ! continua-t-elle,
Comme elle me courrait sur le haricot avec ses merveilles baveuses, je fis ainsi :
– Ce n'est point si sûr car moi, les enfants je les A.D.O.R.E ! En civet, en rôti, en nuggets ou pieds paquets, ils me font régal… Tout est bon dans l’enfant ! Un bébé de lait à la broche, je salive… Il s'agit de ne pas les laisser rassir… A trop attendre, ils en deviennent filandreux et farineux. Dès qu’ils sont dodus à souhait mais fermes, allez hop à la cocotte qui cuit tout ! Je ne saurais trop vous recommander quelques sauces car l'art de l'accommodement réside essentiellement dans la sanquette épandue sur le suc matiné d'un trait de casse-pattes...
Alors que je m'apprêtais à approfondir le sujet, la vieille outrée disparaissait au coin de la rue. Elle ameuta sans humour tout le quartier qui d'abord s'indigna car il n'est pas de bon ton de contrarier la foule. Imitant une fermière à son poulailler, je continuai :  
– Petits, petits… mes merveilles et beignets, des crêpes et du bon chocolat ! Miam, miam ! Miam, miam... Celui-là ne va pas tarder à être à point ! Et ce p’tit-ci, je le mangerais bien tout cru…
Je prie à partie mon auditoire tout prêt à me fourguer leurs enfançons braillards, ils avaient là une aubaine à côté de laquelle ils ne voulaient pas passer :
– L’enfant est bon par nature, ce sont les philosophes qui le clament car Monsieur Brillat-Savarin se tait à ce sujet. C'est donc sans male intention que je dérobe à leur parentèle, ces innocentes créatures à qui je rends service au contraire, en les estourbissant…Regardez Monsieur Poucet : abandon avec préméditation, C'est comme le père d’Hansel et Gretel. Laisseriez-vous votre gamine traverser toute seule la forêt parmi les loups ? La mère du Chaperon Rouge, une irresponsable, je vous dis ! Et ce Monsieur Gepetto qui voulait envoyer Pinocchio à l’école ? Bon cette tête de bois, je l’ai renvoyé chez lui, il avait un arrière-goût de copeaux... Et les marâtres ? Hein !
Les gens n'aiment qu'on leur souffle à la figure, leur quatre vérités. Ils serrèrent contre leur étroite poitrine, la marmaille qu'une minute auparavant, ils s'apprêtaient à se débarrasser. Ils s'offusquaient de mes propos avec des Oh ! quand le service d'ordre attaché au bourg de Paimpette-sur-Corniau et dépêché par quelques délations d'intimes amis comme nous avons tous pléthore, s'en vint m'interpeller pour consommation de produits illicites et troubles à l'ordre public. J'entendis alors par devers mon dos :
– Patron, celle-là, on va se la cuisiner ! A p'tit feu, elle finira par cracher le morceau !
« Manger moins gras, évitez le sel, le sucre et le pinard, consommez BB, bon et bio »
clignotait une pub sur le panneau lumineux de la place.
– Qu'avez-vous pour votre défense ?
– En fait, Monsieur l'adjudant sous-chef, je ne les mange pas tous, ce serait impossible. J’en livre quelques-uns, des gibiers de potence à un ogre de ma connaissance. Il finit également les restes, les bas morceaux. Gaspard n'est pas regardant ! Tenez, pas plus tard que la semaine dernière, j’en ai retrouvé un, tout recroquevillé dans un coin de ma cheminée. Il était tout desséché ! Pensez depuis le temps qu’il séchait comme une andouille à côté du feu. Ça faisait bien quatre-vingts ans !
Je n’ai pas voulu laisser perdre. Je n’aime pas gâcher la nourriture… Clac un coup sec derrière les oreilles et en route pour le chaudron de Gaspard qui ne laissa pas une miette d'os...
– Chef, chef ! On ne trouve aucune preuve...
– Et gros malin, je viens de te raconter une histoire à dormir debout. Je ne mange que de la volaille farcie...
Pendant que je passai quelques heures au trou pour outrage à poulet dans l'exercice de ses fonctions, on porta plainte pour disparition d'un vieil homme. Eh bien, on osa tout de même me suspecter...




Ecrit par Ann
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