Pardonnez-moi, je vous aime

Sur sa table de bureau un courrier pléthorique,
Qu’il n’est plus urgent de décacheter.
Tranquillement en apparence,
Elle passe au destructeur les dossiers
Sur lesquels hier encore elle planchait.
Dans la poubelle, ils font de curieux serpentins
Dont les couleurs criardes se mélangent.
Mais elle n’est pas d’humeur arc-en-ciel ce matin.

Au mur, le planning du mois,
Avec dans la marge, presque à chaque ligne,
Des objectifs toujours plus hauts à atteindre
Que sa hiérarchie mensuellement lui assignait.
Elle les efface un par un,
Sauf ceux qu’elle était en passe de réaliser
Par son travail acharné.

Août 2011, Biarritz. Pur été de bonheur.
Bien en évidence à côté de son écran d’ordinateur,
Elle pense à présent à ses deux enfants,
Ses deux amours qui sourient sur la photo.
Maxime et Arnaud. Treize et dix-sept ans.
Elle les aime tellement fort !
Le travail est passé bien souvent avant eux,
Elle perçoit dans leur yeux comme une résignation.
Une larme amère roule sur sa joue.
Machinalement, elle prend un stylo,
Une feuille blanche et écris simplement :
‘Pardonnez-moi, je vous aime’.

L’angoisse du présent et de leur avenir la rattrape,
Avec le séisme immense de ces deux phrases laconiques
Avant-hier, de son supérieur :
‘Le service va être restructuré.
Il faut vous attendre à être licenciée’.
Elle revoit ces vingt-cinq longues années dans cette entreprise,
Donnant tout ce qu’elle pouvait,
Ne comptant jamais sa peine ni ses heures dépassées.
Elle a cinquante -quatre ans… L’âge de l’inutilité.

A présent elle se déchausse et grimpe sur le bureau.
Elle aperçoit le parc familier où son regard parfois flânait,
Le petit point vert, à gauche,
Le banc où elle grignotait souvent son déjeuner
Avec Samia, sa meilleure amie et collègue.
Elle ne l’a pas vue depuis avant-hier.
Elle ne la reverra plus non plus.

Dans le vertige des quinze étages plus bas qui la saisit,
Elle voit le vide et le chaos
D’une vie qui se profile, sans travail.
Elle ne doit pas l’envisager.
Elle ne peux pas l'envisager.
Elle fait glisser la fenêtre.
Un vent presque doux l’enveloppe.

Elle vient de sauter.




Ecrit par Fregat
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