La Toussaint ( Tradition 3)

A l’heure où je vous écris…

Les saules sur l’Adour pleurent

Leurs feuilles jaunissantes

Et les regrets des Hommes vieillissants

A l’heure où je vous écris…

Les cloches à la mémoire des morts sonnent :

Ceux qu’on a connus, quelquefois aimés,

Ceux qui en secret vivent au chaud de Nous

Dans nos blessures mal refermées

Ceux étourdis d’un rayon de soleil

Nous prêtèrent la Vie

Ceux qui dedans la terre

Avant notre avènement se couchèrent

Ceux que j’ai laissé dormir loin

Ay fil de l’Eure, au fil d’Ailleurs

Proches dans les brumes de mes souvenirs

Ceux que nous fleurissions

Ma main dans celle de ma grand-mère.



Nous allions chez le maraîcher du château un muet, fossoyeur à l’occasion.

C’était le rituel…

Qui liait la vieille dame au jardinier, seul gars du village, homme à tout faire parmi les femmes, réformé pendant la drôle de guerre, comme s’il eut fallu qu’un appelé ait la langue bien pendue pour avoir les Honneurs d’avoir les tripes éparpillées sur le Chemin des Dames.

C’était le rituel…

En quelques gestes, ils faisaient le tour des ragots du canton jusqu’à l’autre bord du pont, jusqu’au cœur d’Ezy la rouge, mécréante, une des rares communes françaises sans église depuis qu’elle fut dédiée au foin au lendemain de la Révolution. Je cus longtemps qu’au village d’en face, on y mourrait jamais mais les habitants n’étaient pas plus malins, ils y mouraient comme les copains.

C’était le rituel…

Nous repartions encombrées

De chrysanthèmes jaunes à petites fleurs

Deux gros bouquets puis une année

Ce fut trois…

Mon oncle, un brave horloger avait avancé la grande aiguille, lui pourtant si pointilleux quand il s’agissait, de régler la pendule du Bon Dieu, un privilège héréditaire qui l’emportait par une échelle branlante souillée de fientes quelques deux fois l’an…

Et un jour il oublia de redescendre ; enfin c’est comme ça que j’appris la nouvelle ; j’imaginais à la droite du Père, malheureux au Jeu, Tonton bienheureux un brelan d’as en main.

C’était le rituel…

Les bouquets recouvraient les tombes.

Mauves … Les cousins de Vernon étaient passés. C’était bien. On ne se causait plus mais quand même on avait des nouvelles. Tant qu’il y avait des chrysanthèmes roses, c’est qu’ils n’étaient pas morts !

Blancs… le pot tout chétif coincé contre la croix ! Ben, on ne peut pas à la fois être riche et généreux et puis les morts pour ce que ça rapporte ; merci pour eux quand même ! On sait qui c’est mais on dira rien, on dit rien mais on n’en pense pas moins !

Et puis une rose coupée finissant de faner, pétales comme autant de larmes inondant la pierre. Une rose pour Nicole, une rose que personne n’aurait enlevée que le temps qu passe !

C’était le rituel…

Les morts vivent avec les morts comme les vivants vivent en famille ; une, deux et trois générations. Au caveau, on y avait chacun sa place et à perpet sans remise de peine, s’il vous plait ! On ensevelissait son chacun avec sa chacune.

C’était un rituel…

Les bouquets mauves, un jour manquèrent à l’appel et puis les blancs… Riches et pauvres, au trou finissent :

L’année dernière, les chrysanthèmes jaunes à petites fleurs firent triste mine sur les noms que ma mémoire seule peut encore lire.

Au pays des Morts ma famille concède beaucoup, cinq puis six bouquets que je déposai, achetés chez « qui c’est moins cher que chez le concurrent » ; bouquets étouffés entre litière super absorbante pour volière et deux packs de lait.

Et un bouquet plus gros que les autres, plus lumineux pour ma grand-mère que ma main dans la sienne me racontait nos défunts.

« L’année prochaine, tu viendras me voir ici, tu n’oublieras pas » ; je n’y manquais pas, l’année suivante, jour des morts on l’enterrait. C’était en 1973.

C’était le rituel et les temps ont changé !

Je ne partagerai pas mes vers de terre avec mes défunts veufs ! Imaginez comme la chapelle serait ardente, le cimetière en charivari ! J’ignore ce que mon légataire fera de ma dépouille, ce sera ma dernière surprise !

Ci-giserai en paix !

A l’heure où je vous écris

Le soleil derrière les frondaisons meurt

Pour une nuit seulement

Un enfant babille traînant son grand-père claudiquant sur ses vieux jours

Deux ado sur leur mob font les cons insouciants que demain ils seront grabataires

Ià l’heure où je vous écris

Il est dix-huit heures, jour de Toussaint

Mon compagnon vient me chercher inquiet de mon absence

Et tout va bien. Demain ce sera la fête de nos morts



<i>1er novembre 2011</i>

Ecrit par Ann
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