Nous, tous les matins

Tous les matins, pour le 6h48,

Tu t'asseyais à la même place.

Celle que je t'avais laissée, une fois.



Tous les matins, tu ouvrais ton lire,

Et tu lisais <i>Le temps d'un voyage</i> d'A. Vintoa.



Tous les matins, j'étais là,

Assis à côté de toi,

Parfois debout,

Parfois derrière la porte du compartiment.



Tous les matins, nous continuions notre lecture,

À la page exacte où nous nous étions arrêtés la veille.

Cela dura trois bons mois,

Sans un mot entre nous,

Nous, scellés par une histoire !



Ce matin-là, il restait quoi ?...

Trois pages ? Le dénouement...

Nous lûmes plus vite, pour savoir.

Le mot de la fin,

Avant le point,

Je me souviens,

Etait <i>amour</i>.

Il y avait juste deux lignes,

Tout en haut de la page de droite...

Et tu es restée, sur ce point d'orgue,

Jusqu'à ce que freine le train.



Ce matin-là, tu as tourné

La dernière page,

Et sur la blancheur nue qui éclatait,

Tu avais gribouillé au crayon,

D'une écriture d'école,

"Moi aussi".



Ce matin-là, comme aucun autre,

Tu as posé le livre

Sur ta place chaude.

Et tu es partie,

Sans un mot, sans un regard,

Dans ta tristesse et ta précipitation,

Comme tous les matins.



J'ai ramassé l'ouvrage.

Je l'ai senti, je l'ai baisé,

Pour te dire au-revoir,

Et je l'ai placé contre mon cœur.

Tu t'es perdue dans la foule...

A jamais !



Je ne t'ai jamais revue.

J'ai oublié, le livre, le train,

Toi.

C'était... quoi ? trois ans environ.



Ce matin-là,

En cherchant un livre pour le train,

J'ai trouvé le tiens...

Je l'ai serré contre moi

Pour m'imprégner de son histoire.

Et ton parfum m'est revenu avec elle ;

Pas seul, il était accompagné :

La nôtre, histoire, m'inonda.



Ce matin-là, pour le 6h48,

J'ai retrouvé ta place.

J'ai ouvert le livre.

Un papier a glissé

Avec une adresse

Et ce seul mot

En résumé :

<i>Viens</i>

Ecrit par Pilar
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