Un drôle de paroissien

A la terrasse

Du café d’la place,

Les habitués font et refont le monde

Avec des grands moulinets dans les yeux ;

Un monde rien que pour eux.

Tout autour des tables,

Ils se lancent des grandes tapes sur le râble :

« C’te blague elle est bien bonne ! »

Puis se poussent du coude et relèvent le nez de leur mousse

- La garce ! quelle jolie frimousse

La fille à la Simonne !

Trois ou quatre bocks, et ils sont à la ramasse,

Les copains. Tirés de leur somnolence

Ils s’en retournent chez eux en silence.

Et le jour s’étire au-delà des Tilleuls de la Place.



Au café de la place

L’inconnu est arrivé avec la neige de l’hiver

« Hé le nouveau, qu’est-ce qu’on lui serre? »

- Un verre d’eau s’il vous plait, monsieur.

Et il posa une pièce de monnaie.

Par delà la vitre maquillée de buées,

Ses yeux parlaient aux Cieux,

Sur ses genoux, les bras posés en croix

Jamais plus sa voix ne résonna, depuis plus de six mois

Qu’il fréquentait l’établissement du Père Fontaine

Tous les jours de la semaine.

Et pourtant le patron s’y essaya à la conversation.

En vain. Et s’installa la nouvelle saison

À la terrasse

Du café de la Place



Et le buveur d’eau adopta les trois marches moussues,

Sur ses genoux, les bras posés en croix.

Le patron s’inquiéta bien un peu que sa clientèle

Lui devienne infidèle

A cause de cet assidu indigent.

Mais les habitués s’étaient faits à sa face de carême.

Comme son nom, ils ne lui en connaissaient pas même

Les habitués du bistrot le baptisèrent Valjean



Sur la terrasse

Du café de la Place,

Au son de la cloche,

Les mains dans les poches

Valjean quittait les saint-lieux du débit de boisson

Pour aller casser une croute au presbytère.

Et les copains glosaient : « C’est un mystère

Que de savoir d’où il recrute ses paroissiens

Mais je vous le dis un des ces matins, le petit curé

On le retrouvera raide mort détroussé

De ses saintes économies comme un chien ».



Mais le patron

du café de la place

depuis quelques temps tirait le diable par la queue,

son établissement partait à vau-l’eau.

Et Le saint homme de son côté souffrait de célébrer

En solitaire son vin de Messe.

Et pour ne point fermer boutique Implorait le Très-Haut

De lui rapportait quelques brebis égarées.



Agacé par les manières du cabaretier

Il entendit l’appel du petit curé

Au café de la place

Il arriva avec les premières neiges de l’hiver.



Sur la place du village

Le café a fermé

Et aussi l’église du curé

Un à un

Les copains

S’en sont allés pour le grand voyage.

Et le cabaretier

Et aussi le petit curé.



Ecrit par Ann
Tous droits réservés ©