Conte d'Emile en une nuit

Par gros temps, c'est plus sûr... le marin reste au port, où la nuit à compagnes écoute, comprend, réchauffe, de bars louches en beaux bars, on les croit.

Ce soir tempétueux, ils partirent trois sans vin, mais par un prompt renfort, virent Emile et Vincent arriver à leur port, une mâle assurance au fronton du Suis-Cid' Pub, quai Corneille.

En se versant sur le palais une enième, et chère rasade, Emile entra à nouveau dans son cauchemar. Une épouse fidèle, Marie-Rose, sa cale d'Amour qui n'en peut plus de l'attendre si souvent au plumard, voudrait en finir, à Milan, à minuit, ou plus tard...

Pourtant, Emile a son dilemme, quand Ali l'abat de ses quarante mots leurres ; il devrait de son frère accepter un sésame, en échange de l'heure, avec le poids d'or de sa femme, qui chausse du 43 à Londres !
Mais sous la canicule, comment repartir rapidement d'un grand pied jaloux, les commères évitant aux parts lentes d'éliminer l'époux sans Marie-Rose ?

Irait-il à Messine, pêcher la sardine, ou bien à Lorient, fumer du hareng ? Il s'imaginait, là-bas, dans le noir, aux Souvenirs d'Orient, y marchant, du pied gauche de préférence et par chance, dans la grotte du sien, comme Marco Polo, rêvant de voir les nippons soulever la Chine...

En sortant du bistrot, il passe ainsi ses nuits, sur le quai des Poivrots, seul avec ses ennuis. Tandis que la mer veille à l'humeur du marin, il compte les étoiles, une nocturne chopine dans une main, une ampoule dans l'autre !

Ressurgit à l'envi cette pensée d'Alfred de Musset, inscrite en rouge vif sur le céleste écran géant :
"La Vie est un sommeil, l'Amour en est le Rêve, et vous aurez vécu, si vous avez aimé."

Alors, avec Vincent, son pote du génie civil, qui n'a rien d'insultant, Emile multiplie les rêves.
Ni lune, ni dieux, quand à l'Adin' Troquet, et trois lampées plus tard, ils partagent leurs calculs secrets, autour d'une table de logarithmes népériens, puis s'écrient assis à L'Hawak' Bar !
C'est parfois Momo, qui d'un rot sort que "la nuit, tous les shamans sont aigris"...

Et quand le compte est bon pour Emile et Vincent retenus, le résultat de leurs voeux , est satisfait en ajoutant un doux zéro, plus un, à l'aire de la racine carrée d'un pur sang.
Le Prince Rimsky Korsakov offre à Emile un ballet symphonique de chez EraZad' Café, ce qui lui permet d'épousseter sa Belle égérie, chaque nuit, avant la danse envoûtante "des sept voiles", au ThousandOne' Club.

Mais cet ultime vœu lui fut fatal, dans l'habit de PeeSinbad l'aventurier, en prenant des morues pour des sirènes, quand il voulut grimper au mât, et soulever les voiles du grand voyage à la conquête de la toison.

Habitué à en mettre une à son rafiot, dans les nuits sombres et froides, en partant à la pêche avec son second About, Emile essaya de hisser un pan de voile de la fille indienne à la queue leu-leu !
Et vlan...
Retentit alors une claque mémorable, en plein dans l'Emile, qui lui fit voir les étoiles qu'il n'avait pas comptées, le renvoyant à la dure réalité terrestre !

Quand il ouvrit les yeux, une chemise de nuit à la main, face au regard bovin de Marie-Rose, nue comme Olivia Wilde en ver dans "Vinyl", il comprit que sa quille venait de heurter le haut-fond des choses élémentaires, et provoquer un large tsunami jusqu'aux bras de sa sirène médusée !

Alors, Emile ému aima fixer le plafond de ses idées, même momentanément mouvant comme l'amer des sarcasmes, où les étoiles se rangeaient pour inscrire sa profonde révélation quantique, inspirée de psaumes qui, de pieux demains, en lettres de lits devint :
"L'Amour est en sommeil, quand la Vie est en Rêve, et vous serez aimé, si vous avez vécu."

Il put se rendormir en se réfugiant à l'abri des bras sûrs de Morphée, bercé par une douce mélodie...

"Belle nuit
Oh nuit d'amour
Souris à nos ivresses..."
*

* Jacques Offenbach - Les Contes d'Hoffman - Barcarole, acte III




Ecrit par Solem
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