Dernière escale
par Banniange
Sous la blanche chevelure de l'onde vive,
Où se mirent les Néréides aux yeux si verts,
Dorment les ténébreux destriers des enfers,
Maintenant, vestiges d'épouvantes plaintives,
Galions assis sur le sable noir des abysses
Que les vents nocturnes animent en silence,
Frégates déchirées sur tant de laves lisses,
Que des volcans furieux ont expulsé en transe.
Ces cargaisons de visages ensevelis,
Ces regards de pieuvres accolées aux hublots,
Ces songes d'anémones vibrantes de nuits
Pour des mirages dorés qu’a brassé la faux!
Hier,ils affrontaient la tourbière des Sargasses
Où les lourds Léviathans mugissent dans les algues,
Les marées se meurent dans les larmes des vagues
Et des crabes géants étalent leur carcasse.
Au Cap Horn l'écume flagellait les vigies,
Des dauphins facétieux filaient vers les étoiles
Laissant aux rafales rudes le mât démis
Et des chairs tuméfiées qui roulaient sous les voiles.
Aux atolls moirés où grondent les chiens de mer,
Ils se baignaient dans des aurores d'émeraude
Et se hasardaient dans l'antre de la sorcière
Pour s'étourdir de la mélopée du rhapsode.
Près des Hébrides, le phare des disparus
Hurla en souffrance le nom maudit des Dieux,
Ils virent, démentiel, dériver en ces lieux
Le vaisseau fantôme aux figures éperdues.
Mais bientôt emportés vers les sombres rivages
De cette île où la mort souffle dans les cyprès
Et des chants lugubres convoquent les naufrages,
Sous la voûte éclairée de vitraux embrasés,
Le roc des sirènes, insane cathédrale
D'ossements édifiés pour une éternité,
Les appelait comme la voix de leur passé
Qui exerçait sur eux un prestige infernal.
Comme en un miroir aux images tourmentées
Ils virent défiler leur jeunesse fragile,
Voulurent s'emparer de toutes ces années
Mais les sortilèges s'effacèrent, futiles.
Ils errèrent longtemps ainsi que des épaves!
Tout le long des brisants au grouillement d’empouses,
Des lunes ensanglantées jetaient leurs ventouses,
Des trombes vermeilles s'accrochaient à l'étrave.
La peur au ventre, ils se réfugiaient dans la cale,
Prostrés et suppliant le secours de leur Père…
Une lame féconde exauça leurs prières
Enfin les transporta vers leur dernière escale.
La lagune enchantée et ses nuages d’ambre,
Que des battements d'ailes dispersaient au loin,
Enivra leurs âmes avec le suave pampre
Pour qu'ils en oublient ce funeste destin.
Les Quarantièmes Rugissants et leur crinière
De tornades et de tonnerre les écrasèrent,
Ils sombrèrent dans les eaux glauques du Léthé
Serrant avec fureur des pépites fanées .
En vain, ont-ils vécu de grandes aventures,
Des poussières d'étoiles logent dans leurs yeux,
Au fond des gouffres surnagent leurs moisissures,
Reliques dérisoires de rêves radieux.
Poème posté le 02/07/16