Des longs baisers de plume
par Mido
par Ancienmembre
(amoureuse correspondance/correspondance amoureuse)
Elle était à l’abri, sous le poids d’un caillou,
Dans une niche ouverte aux quatre vents. Sa frise
De cœurs entrelacés, l’enveloppe cerise,
Ou le dessin d’un chat poussant un gros miaou,
M’indiquaient, à coup sûr, d’où la lettre venait !
Ma sœur, en la lisant, seule, dans son silence,
Partait, je ne sais où, dans un lieu d’indolence
Dont rien ne l’éloignait. Et, lorsqu’ il m’advenait,
De vouloir entacher ce temps de volupté
D’un fétu d’ironie, d’une infime vétille,
De la moindre question, je sentais que Bertille,
Lasse, ulcérée, durcie, pouvait, au débotté,
Muer ses yeux velours en dentelles d’ortie !
J’ignorais tout, alors, des longs baisers de plume
Écrits par les amants, douces fleurs sous le glume,
Parfumées de désir, d’attente consentie,
De prémisses encrés qui affûtent l’envie,
Audaces sur papier Chambord, fervente étreinte
Des mots incandescents tatouant leur empreinte,
La promesse en feuillets d’un amour pour la vie !
Plus tard, lisant Hugo et Juliette Drouet,
- Recueil adultérin de l’art épistolaire,
Missives éperdues ou pages jubilaires,
Transformant en festin l’indigeste brouet
Du vide et de l’absence entre deux cœurs épris -
J’ai revu mon aînée lissant, feuille après feuille,
Son front de jeune femme en qui l’amour effeuille
Des pétales de pleurs ou des joies pour l’esprit,
Inquiétude amoureuse ou espoir exalté !
Comment y résister lorsqu’on naît romantique ?
- Une grâce, un atout, une rose et ses piques ! –
J’ai goûté, à mon tour, aux délices ouatés
Du vélin devenant une seconde peau,
Où j’ai posé, légers comme pattes de mouche,
Tel un patineur d’eau troublant l’onde qu’il touche
De quelques ronds pareils aux rubans d’un copeau,
Mes plus beaux traits de bleu, de violine ou de noir,
Selon l’humeur du jour ou les couleurs de l’âme,
Selon qu’à l’être aimé je murmurais un brame
Ou le feutre discret d’un rendez vous du soir !
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J’ai, cent fois, chiffonné de multiples brouillons,
Mille fois raturé l’incipit sans étoffe
De titres ampoulés ou de premières strophes,
Avant de conserver mes meilleurs ardillons
Pour celle à qui j’écris… en guettant le facteur…
Dans l’attente d’un Oui, toujours la même lettre.
Mido
Poème posté le 11/08/17