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Voyage
par Ann


par Ann


Elle avait le visage ingrat des filles qui ne sourient pas mais si elle avait souri, ce fut pire. Ce n’était pourtant pas vraiment de sa faute si elle était grosse, pas ronde mais grosse qu’on ne voyait que ça. On oubliait ses cheveux plats et son menton en galoche. Laide au point qu’un inconnu qui l’aurait croisée se serait dit qu’elle était probablement une « tête » car la nature ne pouvait pas être à ce point cruel pour ne pas doter une telle créature d’une petite compensation. En effet, elle savait lire. Amandine était tenace et son institutrice très patiente. Ses parents se sentaient coupables d’avoir engendrés cette enfant, c’était la faute à l’orage. Il y avait trente-cinq ans que la foudre était tombée sur le générateur derrière le poulailler. Louis, énervé par les allumettes qui avec la manie de les ranger sur la pierre à évier à côté du savon, avaient pris l’humidité, avait à tâtons tenté d’enflammer la mèche de la lampe tempête. Elle avait glissé de la toile cirée sur la tomette, diffusant une odeur de pétrole. L’ampoule qui pendait au-dessus de la table ne diffusait plus de lumière mais le plus grave c’est que la panne avait interrompu la piste aux étoiles juste au moment où l’orchestre entamait l’indicatif. Gilberte et Louis ne rataient pas une émission et ce soir-là, assis sur leur chaise, ils regardaient l’obscurité. Ils se seraient regarder s’il y a eu ne serait-ce qu’une lueur. C’était la nuit totale dans la ferme, sinon ils auraient sorti les dominos ou le jeu de cartes qu’on repérait à un coin écorné ou une tâche de gras. Sans entrain, ils allèrent se coucher. Il n’y avait plus que ça à faire pour oublier cette soirée ratée après toute une journée de labeur. Sous le gros édredon, l’ennui aide aux rapprochements. Louis fouilla dans sa mémoire et d’une main dans son pyjama. Les outils étaient à leur place, ramollis par le manque d’exercice. Sa femme sentant les idées de Louis gonfler contre sa cuisse se tourna vers le mur. Depuis vingt ans que son homme ne la touchait plus, elle en avait perdu le goût. Louis du bout de ses doigts retrouva le mode d’emploi et sans prendre le temps de relire la préface, déchargea son trésor dans la caverne de sa femme sans les précautions d’usage. Onze mois plus tard, Amandine vint au monde entre la traite des vaches et le nourrissage des oies. On poussa le chat qui dormait dans la corbeille à bûches pour déposer le nourrisson emmailloté de charpies. La mère trainait le panier partout où les corvées de la ferme la menaient. On se serait bien passé de ce don du ciel mais puisque le bébé était là, on l’aima comme on put. Les années passèrent, les parents trépassèrent assommés de travail et de routine. La foudre ne tombant jamais deux fois au même endroit, Amandine était fille unique et se trouva bien seule dans la ferme plantée au milieu de nulle part. Les parents économes laissaient un bon pécule à sa descendance mais bien insuffisant pour qu’un garçon puisse envisager ses épousailles avec l’héritière. Elle voyait son avenir tout tracé et ça la désespérait… Chez le notaire, elle fit ses affaires et un matin, prit l’autocar pour monter à la ville. Sur le tarmac, l’avion attendait. Amandine impatiente et déterminée allait s’envoler vers le nouveau monde. Pleine d’espérances, une paysanne dont les seuls bagages étaient en carton partait à l’aventure. Elle n’avait rien à perdre, donc tout à gagner. Les voyages forment la jeunesse et elle n’avait que quarante ans…

Première partie de la nouvelle...

Poème posté le 24/06/14



 Poète ,
 Interprète
Ann



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