L’heure du lait 7
par Ann
L’heure du lait,
C’était le moment d’abandonner
Les cabanes construites dans les halliers.
La veille, les filles avaient invité les garçons
A gouter la soupe cailloux qu’on faisait semblant d’aimer
En préférant les grosses tartines de confiture
Et le camembert coulant dans le pain
Tirés du sac pour le quatre-heures.
Le clocher sonnait six heures
Les vaches rentraient à la ferme
Elles connaissaient le chemin.
Le bâton de la fermière
Poussait les retardataires
Attirées par l’herbe du fossé.
C’était là leur seul signe d’indocilité.
Marcus, toujours aux aguets
Avait l’ouïe infaillible
Le flair de la caresse.
Piètre gardien de troupeaux,
Il souriait aux oiseaux.
Il mordillait bien quelques jarrets ;
Ça l’occupait, c’était un coquin
Qui ne connut jamais une autre attache
Que celle de l’amour de ses propriétaires,
Un sort bien marginal quand les coups
Rétribuaient encore trop souvent
Les gages de fidélité,
Bêtes comme maitresses de somme,
Leur seule utilité valant
Les rares soins qu’on leur prodiguait.
C’était l’heure de la traite
Il suffisait de suivre le chapelet de bouses
Pour arriver à l’étable.
La trayeuse soulagea à la fin des années soixante
Les grosses mains râpeuses de la paysanne
Qui réservait son élégance
Pour l’office du dimanche.
Elle s’asseyait encore sur un botte-cul
Pour essuyer les trayons,
Les premières gouttes de lait
Dégoutant sur la paille.
Les enfants attendaient
Que la vachère se décide
À plonger sa mesure dans le bidon
Pour remplir les laitières
D’un liquide crémeux et tiède.
Le soleil descendait sur la friche
Les enfants retournaient au bercail
Il était grand temps.
La soupe au lait
C’était du lait glacé
Que Mémé versait dans de grands bols
Pour recevoir les restes de pain
Arrosés de sucre et de fantaisie
Chez les moins puristes
Cannelle ou fruits.
Il s’agissait toujours du lait de la veille
Il avait reposé dans des bouteilles de verre
Dans la porte de M. Frigidaire.
C’est Tonton d’Amérique
Qui l’avait acheté pour Mémé
Qui contrainte, avait fait son deuil
Du puits et de la souillarde.
« Allez donc leur payer des études !
Et ils vous emporteraient sur la Lune,
Ces graines de culottes ! »
Fit Mémé qui ne crut pas si bien dire
Quand Tonton posa sur le haut chiffonnier
Un téléviseur pour les soirs d’hiver.
La soupe au lait,
C’était une sorte d’en-cas
Entre le goûter et le souper, le vrai.
Une modeste récompense
Qu’on offrait aux ardeurs déclinantes du soleil.
La soupe au lait, c’était…
Comment dire ? Le contraire
De la soupe à la grimace.
On avait le droit de faire du bruit avec la cuiller
En grattant le lait sucré accroché au fond du bol.
Les enfants avaient même la faveur exceptionnelle
De parler avec les adultes comme des grands.
Mais personne ne causait avant d’avoir assouvi son bonheur.
Quand les convives relevaient le nez du breuvage,
Ils avaient tous hommes, femmes et enfants,
De grandes moustaches blanches
Qu’on effaçait d’un revers de main
Comme des maquillons satisfaits.
Suite de <br />
<br />
BUISSON ARDENT 1<br />
MEME 2<br />
LA TOILETTE DES CHATS SAUVAGES 3<br />
LES PANIERS DU MARAIS 4<br />
MENTHE OU ROSE 5<br />
L’ŒUF BRISE 6
Poème posté le 15/04/18