La langue française
par Madykissine
Manifestation de mots
Un jour que le vent soufflait fort,
Au royaume des dictionnaires,
On vit les mots assis, dehors,
Sous ce titre protocolaire :
"Égalité entre les mots".
Des groupes, par affinité,
S'étaient placés de bas en haut
Clamant chacun leur vérité.
Moi, moi seul, suis grand, dit le verbe
C'est écrit dans le livre saint.
Les autres, d'une voix acerbe
Se révoltaient, levant leurs mains :
Non, nous n'accepterons jamais
Un potentat, c'est illégal !
Sachez la place du sujet,
Des compléments en général,
Personne ne comprendrait plus
Ni les ordres, impératifs,
Contradictoires, superflus
Souvent, ni les infinitifs.
Sentant la phrase déborder,
Le verbe tonne avec fureur :
Allez-vous aussi comparer
Mes auxiliaires en valeur ?
Au prétexte d'égalité,
Être et avoir seraient semblables,
Leur sens pareillement donné ?
Où allez-vous, par tous les diables ?
Holà crièrent tous les mots,
Du haut de la conjugaison,
Ne nous prenez pas pour des sots,
Descartes a tranché la question :
Être, c'est penser, nous dit-il,
Avoir signifie posséder,
Le plus souvent. N'est pas utile
Entre eux deux de nous égarer.
Jamais on ne verra, c'est sûr,
Chez nous aucun temps composé
Sans auxiliaire, la loi dure
Est loi, dans l'art de conjuguer.
Les adverbes, d'une voix forte,
Se mirent à chanter en chœur :
Ce qui compte, ce qui importe,
Est d'être le même, à toute heure.
C'est nous qui sommes invariables,
Toujours prêts, magistralement,
C'est nous qui sommes véritables,
L'égalité, c'est nous, vraiment.
Il vint alors une bagarre
Où, vive, la langue française
Manifesta jusque très tard
Sa grammaire et ses exégèses.
Dans l'incroyable baratin
De la langue vernaculaire,
Les mots perdirent leur latin
Et l'on frôla de peu la guerre.
©MKISSINE
Vestiaires et labyrinthes, vol. 2
Dépôt légal : 2010
bien à vous ce 29 février 2020
Poème posté le 29/02/20
par Madykissine