Lorsque Magda raconte...
par Madykissine
D'une voix rayonnante et discrète à la fois,
Magda répond, raconte, aux lycéens, parfois,
L'incroyable et l'horreur dont sa vie est meurtrie.
Témoin, plus que victime, en toute sympathie,
Elle explique pourquoi tant de temps a passé
Jusqu'à ce qu'elle prenne enfin la liberté
De dire son parcours.
N'est-ce d'être la seule à survivre alentour
Car sa famille entière a péri dans les fours.
Il y avait de la musique – ô terrible mémoire...
On les a fait sortir sans autre moratoire,
Amaigris, titubant, au plus chaud de l'été,
Pour entendre un concert. Mourants, les décharnés
Tombaient sur les cailloux, plus légers que des plumes
Quand d'autres prisonniers jouaient Brahms dans la brume
Qu'exhalait la poussière. Un violon était mort
Un autre a pris sa place ; ils comprirent alors
Qu'on les faisait attendre
Un moment pour descendre
En enfer.
Une personne, au bout de son dernier calvaire
A tendu quatre bouts de pain, miettes sincères,
Et lui dit : « Tu vivras, tu devras raconter
Ce qui se passe ici. » Les camions confisqués
Avec une croix rouge emmenaient les valides
Les plus naïfs hélas, jusqu'aux gouffres morbides.
Mais qui aurait pu croire un tel raffinement
Dans leurs résolutions ? Pendant combien de temps
Pourrait-on vivre encor ? Personne ici sur terre
Ne détient le tout vrai. Moins qu'ailleurs dans la guerre...
Et c'était différent
Il fallait seulement
Survivre à la famine, à la galle et aux poux.
Mais qui respire encor, la soif l'a rendu fou.
Plus de trente ans après, la parole libère...
Et Magda se souvient du fond de la misère.
À chaque carrefour quelque chose survient
Dont tout peut basculer. La goutte d'eau, le lien,
Les mots les plus pressants murmurés à voix basse,
Indiquant le moyen de tromper les rapaces.
On n'imagine pas, à partir du moment
De la reconnaissance, un sentiment puissant
Qui génère du sens et, mieux, de l'énergie,
Même dans le malheur. C'est encore la vie.
La culpabilité comme la faim, la peur,
Nous ferment aussi loin qu'on ignore le cœur.
En face, quelque chose, invisible – et pour cause,
Un songe de soi-même, un messager qui pose
Un pont, jusqu'à la paix, sur les cendres du temps.
C'est alors seulement
C'est alors qu'on comprend
Que dans l'instant qui reste, on commence sa vie.
Sur vie.
À jamais devenir un apprenti d'aimer,
Créer pour devenir, pour naître à la beauté.
Jamais ça ne finit. Faire advenir la joie
Dans l'inimaginable, afin que l'on nous croie,
En soi, premièrement, et dans chaque pays
Pour que le monde vive. Arroser le semis.
Aimer pour aimer juste. Et maintenant, partout.
En sachant que demain ne dépend que de nous.
Verroteries - ©M.KISSINE – ISBN 9782919390311
d'après un récit de Magda HOLLANDER-LAFON<br />
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Amicalement à vous<br />
MK<br />
22 janvier 2017
Poème posté le 22/01/17