Vous marcherez sur la grand-route
- Le vent vous y précèdera -
Et vous reconnaîtrez sans doute
Cette trouée qui s'ouvrira
Soudain dans les feuilles sereines.
Alors vous suivrez le chemin,
Celui qu'on dit "du Fond des Plaines",
Et vous laisserez votre main
Rêver parmi l'herbe mouvante,
Sous la lumière de vos pas
Et dans la lenteur odorante
D'un plein midi splendide et las.
Vous avancerez en silence,
Sachant que je vous attendrai
A cette heure où, guettant la danse
Des bourdons lourds, je me tairai.
Vous pousserez la frêle porte
De mon jardin, celle où le temps
S'arrête souvent et m'apporte
Du lointain les chuchotements.
Le fouillis des fleurs assoupies
Vous saluera, modeste et doux,
Tandis que les voix endormies
Des arbres frémiront pour vous.
A ma table vous prendrez place
Et vous partagerez mon pain,
Sous la tonnelle où l'air fugace
Stridulera parmi le thym.
Vous me donnerez les nouvelles
Du vieux pays, de nos amis,
Et vous enjoliverez celles
Qui laissent les yeux assombris.
Nous cueillerons des nectarines,
Nous boirons le café, le thé
Puis, dans des coupes cristallines,
Le vin frais de la fin d'été.
Montant du bord des crépuscules
Cependant que nous causerons,
Et plein des ombres majuscules
Des sous-bois tapis aux vallons,
Le soir viendra. Ce sera l'heure
Pour vous de regagner enfin
Votre solitaire demeure :
De verveine et de romarin
Vous aurez fait large provende,
Votre image s'éloignera
Dans un murmure de lavande …
- Le vent vous raccompagnera.
Ce poème s'inspire du début des "Vieux",
l'une des "Lettres de mon moulin" d'Alphonse Daudet,
et notamment de la missive que reçoit le narrateur
de la part de l'un de ses amis lui demandant de rendre
en son nom une visite à ses très vieux grands-parents.