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Poésie libre / Batterie de poulets
              
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Batterie de poulets
par Sébastien Bidault


À l'entrée du bâtiment long comme une piscine olympique, le bruit continu, comme un grésillement en boucle, s'accroche à l'oreille en même temps que l'odeur de crotte en déréliction chimique prend le nez dans toutes ses dimensions. Puis tu pousses l'autre porte pour entrer là où la foule compacte de volaille dégage une excitation de plumes électrisées, éjectées de la chair décharnée par la friction de flans, et une tige déplumée s'envole puis retombe vite à la paille dont elle s'amalgame par la merde jointure. Les poulets se marchent dessus. Ils picorent aux mangeoires descendues du plafond, où des granulés imbibés d'antibiotiques leur sont administrés pour éviter les maladies contagieuses, douloureuses pour la bourse de l'exploitant agricole, ce qui fait tomber une larme à l'œil de la coopérative, du syndicat, de l'usine chimique, de l'état, et de la PAC au bout de la chaîne par le début pourvoyeur de subventions, formant un croisement nébuleux de valeur au dessus de la plaine occidentale. Et les yeux exorbités de chimie des poulets fracturés aux membres me rappellent en un mélange mécanique, ou plutôt psychédélique, ou plutôt me ramène à une expression peut-être humaine, pas loin du poulet de comics terrorisé, et de l'adolescent en rave party, au pied du camping, après le déluge, il a perdu toutes ses affaires. C'est encore plus triste à vrai dire. C'est même terrible. Comme un truc organique sur lequel on aurait marché, tous, l'un après l'autre, pour former une œuvre d'art de brutes concassée. Encore ceux-ci ont-ils la chance d'être labellisés ! Ils sortent dehors les journées des deuxième et troisième mois de leur vie cadencée, avant d'être ramassés par les pieds la nuit, alors ils sont plus calmes, puis mis dans des camions à cage pour être emmenés à l'abattoir. Et dire que c'est bien pire pour les non labellisés ! Les radiants à gaz irradient ce hangar où seule l'eau coulant dans les abreuvoirs semble saine. Rien ne donne envie de pénétrer dans ce lieu à la foison néfaste. Et pourtant l'agriculteur doit les baguer un par un, faire des prélèvements pour vérifier le poids par rapport à la courbe de croissance théorique. La raison nous amène bien là, à la machinerie de poulet. Et je repense à Descartes que j’aime tant. Je ne voudrais pas être un poulet-machine, pas un poulet-animal non plus, pas même celui tout seul dans un jardin gardé par un chien amoureux de son canapé. Je passe en voiture sur le chemin longeant le poulailler et des dizaines de ces volailles me passent devant le pare-choc comme s'ils jouaient à se faire peur, me ralentissant dans mon déplacement, me gênant par ce fait. Je ne voudrais pas être un poulet. On n’en a jamais vu entrer dans un train et regarder, en songeant, par la fenêtre le paysage défiler. On n’a jamais vu un poulet entrer dans une boulangerie pour demander où se trouve la librairie la plus proche. Ni même un chien d'ailleurs, ni même un éléphant ou une loutre ! Au moins chacun de ces quatre mille poulets est égal avec son congénère dans sa merde, pas le moindre signe d'une distinction sociale. Il doit bien y avoir quelques lois du plus fort, à travers cette nébuleuse, qui tombe sur les premiers blessés ou malades. Pourtant j'en ai mangé, des sauvés de l'abattoir par ma mère, ils avaient alors droit à quelques mois de liberté supplémentaire, à gambader dans la cour de la ferme, à picorer quelques graines, avant d'être tués, la tête arrachée comme ultime geste de violence perpétué par maman, et puis mangés, et c'était bon. J’en mange moins. J'aime toujours manger du poulet. Mais ce n'est plus la peine de passer par l'étape giga basse-cour en hypertrophie pseudo rationalisée. Ce n'est pas ça la raison, et je ne le dis pas par excès d'humilité. La raison ne prend pas cette forme. La raison sait concilier les axes divergents. De ses erreurs, elle peut repartir à zéro et bâtir elle-même son socle de règles. On peut faire un cocktail pour organiser avec différentes techniques connues à ce jour. On sait, nous savons.



Poème posté le 21/08/20 par Paul Konstantin


 Poète
Sébastien Bidault



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