Il y a un siècle
par Yablokovnaia
Il y a un siècle
Dans le noir au combiné du téléphone
Sa voix, nos discussions sans fin tous les soirs,
Au bout de la nuit, juste lui, juste ça,
Sa voix dans le noir, nos rires
Il y a un siècle
Les laits chauds dans la cuisine, le matin
La technique sophistiquée pour bien diluer le chocolat
La lueur dans ces yeux... la lueur dans ces yeux...
Les étreintes inopinées, l'admiration réciproque
Il y a un siècle
Ses murmures de temps en temps,
Caresser ses cheveux quand il dort,
Dans un car près de la mer,
Des chansons slaves dans nos oreilles
Il y a un siècle
Sa peau mate, ma peau laiteuse,
Mon Russe de chair -
Non, tu n'es plus à moi,
Et russe non-plus, d'ailleurs...
Il y a un siècle
L'odeur du vin chaud et le goût des biscuits
Au marché de Noël, ta main tient la mienne,
La nuit est tombée, tout brille,
Jusqu'à la lassitude me rend heureuse.
Il y a un siècle
On était toujours d'accord, à vrai dire,
On ne se disputait pas, mais au lieu de stagner,
Avec nos débats, nos délires,
On créait...
Il y a un siècle
Tu faisais des tours de cartes pour les invités.
Y repenser me pince le cœur, tu étais unique.
Et en marchant je t'apprenais trois-quatre mots de japonais,
"Rouge", "bleu", "tête", "main"...
Il y a un siècle
Sa rage, le trou dans son bureau,
Cette larme ce soir, je ne sais toujours pas pourquoi.
Et d'un coup, plus rien. Comme un infarctus, je crois:
Court, douloureux, fatal.
L'amour a fait tout un cycle, le cycle entier d'une fleur,
Naître, s'épanouir, grandir radieux, puis ternir et faner
Jusqu'à enfin mourir; et depuis, dans mon esprit, il est encore là, il
Continue de pourrir... avec le même éclat.
Poème posté le 26/02/21
par Yablokovnaia