In natura
par Hurlevent
I. BRIZE
Un matin d’aurore à la fenêtre
Mille minuscules escarpolettes
Suspendues aux grêles rachis
Tremblotent en insignifiants petits cœurs
Dans le corps longiligne des prairies
Tâtant l’air comme des aveugles
Se tenant aux étagères du vent
Comme des nouveaux nés.
Les épis portent les lambeaux
De la tempête qui a pourtant détruit la maison
Ils épient l’été et sentent dans l’air
L’impatiente attente de la terre
II. THOMISE
A l’affût dans les têtes des trèfles ou des séneçons
Dans ton habit tantôt rouge tantôt jaune de meurtrière
N’es-tu pas un peu sorcière jolie Thomise ?
III. APPEL
Les bourdons bourdonnent à mes oreilles
Et les plantes les entendent aussi et les convient
A la libation de nectar dans la prairie
IV. ABEILLE
Qui t’a assigné ce cruel dessein :
Sans cesse brûler du nectar pour
Butiner du nectar à brûler sans cesse?
V. ORGES
Quand vos becs chlorophylliens auront picoré
Les rayons du tout dernier soleil printanier
Quand vos graines auront les joues arrondies d’amidon
Quand les coquelicots seront ‘à feu et à sang’
Quand le soleil couchant rasera vos barbes rousses
L’alouette aura les yeux emplis de paille
VI. LEZARD DANS LA FORÊT
Où que tu ailles un rayon ensoleillé
Dégringolant de toutes les mains tendues de la forêt
Te pointe de son liséré d’or
Faut-il que l’alentour te soit si froid au corps
Pour t’adonner ainsi
Aux regards des peuples gourmands?
VII. LIERRE
Que celui qui n’a jamais tenté
D’abattre l’ombre froide d’une muraille
Ou d’atteindre le soleil
De la haute dignité d’un arbre
Que celui qui ne dédia son pas
A la lente sagesse du temps
Et à nourrir les mendiants ailés
Des fenêtres ouvertes de l’hiver
Que celui-là ose sans remord
Donner le premier coup de hache
VIII. LOUP
De la fissure entre chien et loup
Sourd une voix d’homme
Ses appels, ses cris, ses injures, ses mots d’amour.
Source de fuites rattrapées
Dans des vasques de sang.
Regard de plénitude et de tristesse
Posé sur la dépouille d’un arbre de vie
IX. Orage
Magistral arasement de silence
Coup de cutter flamboyant
Dans la paume de la nuit
Le ciel s’éventre sur les hauteurs
La peine voûtée des peupliers
Silencieusement les lais
Repoussent la transparente étole
Au bas de leurs jambes poudreuses
X. CHOUETTE D’ATHENA
D’un poteau de vent à l’autre
Ton envol s’étend comme un fil électrique
Et quand tu plantes tes bruyantes banderilles
Dans la nuque de la nuit, agonisante jusqu’au matin
Le silence se tait
Sauf dans le sang glacé du campagnol
D’ailleurs tu n’aimes pas le chant du merle le matin
Lequel pourtant t’annonce au crépuscule
XI. MERLE
Gardien des lisières
Lisière du jour et de la nuit
Lisière du bois et du champ
Lisière du sommeil
A l’angle des paupières
XII. D’UN JOUR A L’AUTRE
La nuit lape le dernier lait du jour
Les oiseaux offrent leurs ultimes chants
A l'horizon sanglant
De ses tranchants scalpels safranés
Le soleil taille la haie de la nuit en retrait
Et sculpte dans les gorges les chants d’oiseaux
XIII. ARBRES
On vous voit souvent
A l’orée des champs
En troupeau de frondaisons
Dans les pâturages de lumière
Intrépides brouteurs de clarté
Ne laissant à vos pieds
Que la peau vide de l’arc-en-ciel
XIV. GEAI DES CHENES
Tu n’as ni le chant mélodieux de la grive
Dans le dernier sommeil du printemps
Ni de l’aigle l’aile qui remue
Majestueusement les fils du ciel
Mais ton vol laborieux est lourd
De la lisière du bois
Emportée à travers la campagne
XV. ECUREUIL
Moi aussi j’aimerais fuser
Dans les hauts vitraux des forêts
Insensible à la pesanteur du moment
Moi aussi j’aimerais parcourir l’espace
Tendre mon envol dans le vent et de loin en loin
Poser le pied sur une branche pour ne pas mourir
Moi aussi j’aimerais
Escalader les verticales écorces
À la vitesse d’un éclat de lumière
XVI. SANGLIER
De ton disque estampillé
Du blason du dieu des orifices
Maraudeur laboureur du passé
Déterreur des bulbes du présent
Débardeur des glandées
Le matin en sera méconnaissable
XVII. RAMIER
Je reconnais bien là ton charisme
Parmi la petite gent ailée
Roulant ton chant houleux
Sur la berge matinale
Te dandinant sur les avenues
Des graines buissonnières
Mais prend bien garde
Chaque nouveau soir t’amène
Plus près toujours de l’automne
Et des matins orageux
Qui perforent les migrations
XVIII. RAINETTE VERTE
Cette manière d’émeraude abacule
Errante d’un feuillage à l’autre
Que tu es au gré des ondées.
En mars, davantage qu’à l’apparence
Tu aspires au tapage nocturne
Enfoncé en coin
Dans les fissures du sommeil
XIX. HIRONDELLES ET MARTINETS
Du regard élevé du peuplier
On voit mieux tous les andains
De foin de ciel abattu
D’un clair mouvement de faucille
Toutes les chaumes de vents scindés
Tous les bois et les chemins
Qui loin en arrière peinent
A survivre dans vos sillages
Toute cette force à vaincre l’air
Pour une petite parcelle
D’étable ou d’avant-toit
Où, comme des couteaux pliés
Les vols puinés attentent
Que le départ s’annonce
Pour revenir demain
Poème posté le 26/06/21
par Hurlevent