Grièche
par Salus
Paysages
(Internes)
Rouge sanglant, noir d'esquilles de l'os,
La main collée, et le mégacéros !
La nuit du temps, ce gouffre incoercible,
Plein du présent dont l'ambigu creux crible
Un peu la vive étoffe de la nuit
D'une lumière où toujours tout s'enfuit
- Quel univers peut-il se vanter d'être ?
De quelle vie est-on jamais le maître ?
O l'interstice à l'immense béant !
Une seconde ! au grand vide échéant...
Intraitable éternité cannibale !
Lamproie ultime, ivre atonie étale !
Vrille, spirale, intense, affreux vortex,
Bienheureux morts, errant de par l’Hadès
...Mais tout est blanc, hélas, rien ne perdure,
L'âme n'est pas ! - La croyance est torture -
Exister ? - Ha ! C'est la faim, c'est le froid !
Vides d'esprit, seuls les rochers sont rois !
Et le désir ! - Le désir est orange !
Bonne violence ! - Et crime envers l'archange !
L'intimité du sépulcre profond,
L'infinité que le stupre refond,
Ah ! ces couleurs, ces douleurs et ces strates !
Douces amours, perverses, pédérastes !
Satellite aigre, et vieux soleil douteux,
Sel de laitance au ciel calamiteux,
Fade esthétique à jamais décharnée,
Mol hymne inane où ma folie est née !
- Mais ! Symphonie ! et nul n'y donne un la !
En contrepoint dissonant : la peur, la
Peur d'être ! Angoisse ! Inverse des inverses...
Passages
(Externes)
...Stridulation grincée, ignoble, de ces herses.
Incendiant la nue au feu volant d'Hélios,
L'or du chaste couchant, tout retombe au cosmos
Par les éons marqué ; comme on flèche une cible,
Kronos repousse au puits le grand brasier terrible.
Tout se calme, et le monde ajourné tôt s'amuit ;
Des lambeaux de lumière en feu s'échappent : pffuit !
Alors, très lentement, l'on voit l'or se démettre,
Puis, moutonnant les airs, de roux troupeaux vont paître
Au verso du rideau qu'un dieu tire, créant
Le gigantisme ! un gouffre ouvert sur le néant
Piqueté, balafré par l'innombrable opale
Des étoiles d'argent, de leur laitance pâle,
Bue, aux cieux vastes et loin, vieux, ce népenthès
Mystérieux, impensé, ni lu d'aucun codex,
Du chaos vide et feu comme une sépulture,
Jusqu'aux fastes parés pulsés par la Nature.
De cet universel dont l'attraction décroît,
Immensité quantique où rien n'est laid ni droit,
Cette tension, Matière ! impossible, ample, étrange.
...Puis le froid, sur le soir, couperet, tombe et tranche !
Or, se levant, le vent va vers où les vents vont
Quand l'étendue est belle et le ciel sans plafond...
Et, sous le dais très noir que tant de blanc contraste,
L'esprit tremble, accablé, mais le cœur enthousiaste
Et crédule au présent, amoureux, d'être deux,
Occulte, enténébré, le pronostic hideux,
Aujourd’hui du morne, et de la norme ajournée !
- Et l'on échappe encore à l'ultime fournée!
C'est ainsi que le vers, ce joli falbala,
Brillera d'autant plus que l'on le fabula !
- Beauté, préserves-tu ce féal que tu berces ?...
Anthropophrases :
...Par ces chemins et ces traverses ?
Ou dans ce cœur tanné sais-tu
Qu'il n'y stagne qu'un résidu,
Ce caput mortuum de l'homme,
Ces quelques sels qui sont la somme
De ce qu'ont produit de meilleur
L'esprit, le corps, l'âme et le cœur,
Sur cent mille ans d’intelligence ?
O déliquescence indigente !
Misère ! aux soi-disant sommets,
Seules brillent, rares sonnets,
Trois étincelles de génie ?
Partout règne l’hégémonie,
Jusqu'en nos profondeurs, la Loi
Nous injecte, avec le surmoi,
La censure odieuse ou sage,
- Et rien ne peut qu'on s'en dégage !
Aspirations aux libertés,
Cruels hivers, lointains étés,
Leurres gais des belles ondines
Tout se grise aux fourches caudines
Dont le temps couche notre chef
Sous la vie au trop bas relief...
Cette empreinte imprimée au sable,
Cette épigramme misérable
Ouvre au neutre texte effacé
Que, brûlant, l'on s'est efforcé,
Notre temps, d'inscrire à ces plages
Que balaie, au ressac des âges
Le flux Océan de l'oubli
Sous un ciel toujours embelli.
A la nue impassible je
Dédie - hélas - cette grièche.
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Poème posté le 19/04/18