La baronne, jadis, fit tuer son époux
Il était routinier, peu actif, indocile,
Le faire supprimer lui fut assez facile
Le fantôme local étant à ses genoux.
Ayant été huilée une grinçante porte
Fut par l’époux-baron ouverte par erreur
Et l’huis ne grinçant pas fut cause de malheur
Un matin où l’envie de chasser devint forte
On y menait jadis quelques désagréments ;
Il donnait sur le vide menant aux oubliettes
Des gens dont on avait cessé d’aimer la tête
Disparaissaient alors irrémédiablement.
Par un affreux hasard une fosse oublieuse
Vit choir notre baron sur son fond de granit
On eut pu recourir au bouillon d’aconit
Mais le spectre trouva l’idée pernicieuse.
Le baron disparut. Sa veuve s’égaya
D’abord avec l’esprit qui hantait le château
Mais qui se limitait à caresser sa peau
Étreindre une vivante, il ne le pouvait pas.
Le fantôme étonnait d’habileté soyeuse
La dame dont le corps était à l’abandon
Et manuellement il exploitait ses dons
La conduisant souvent à une fin heureuse.
Madame, dit l’esprit, sans matérialité
Je ne puis vous donner un bonheur désirable
Prenez donc des amants faits de chair véritable
Conduisant votre corps à la félicité.
La dame de ce discours appliqua le conseil
Elle eut quelques amants, bons mais jamais parfaits,
Qu’elle appréciait peu bien qu’ils soient satisfaits
Seul le spectre la nuit occupait son sommeil.
Quand l’amant déplaisait il franchissait la porte
Qui menait sans un bruit au rapide trépas
La baronne lassée de prêter ses appas
En détruisit ainsi une assez belle escorte
Dans l’au-delà dit-elle je serai spectre aussi
Et à mon beau fantôme ira tout mon amour
Que ce soit dans la nuit ou bien qu’il fasse jour
Nous pourrons nous aimer sans le moindre souci.
Elle choisit alors, suprême sacrifice,
De se jeter du haut de la tour principale
Et mourut sur le pré en aube virginale
Son visage gardé du moindre préjudice.
Devenant spectre aussi elle aima le fantôme
Partout dans le château en un jeu permanent
Jamais on ne connut amour plus éminent
De sensualité il eut tous les symptômes.
Visitant le logis de ces esprits coquins
Les touristes, souvent, s’ils prêtent bien l’oreille
Entendent une rumeur à nulle autre pareille ;
Quand d’une porte vient des bruissements malins
Pas de chaines qu’on traine, aux bruits antipathiques,
Simplement des soupirs dont le son est joyeux
Des rires sensuels d’un couple d’amoureux
Et le superbe écho des spectres extatiques.