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Poésie libre / Le rendez-vous des Anges - 1ère partie
              
Poésie libre / Le rendez-vous des Anges - 1ère partie
         
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Le rendez-vous des Anges - 1ère partie
par Ombrefeuille


*** Conte *** Elle tire à elle le lourd ventail dont le bois ridé paraît fait d'une essence plus ancienne que le temps. Le claquement se répercute dans la nef en un long écho que se renvoient les piliers. Alors elle glisse dans la serrure robuste et têtue une clef hors d'âge qu'elle tourne deux fois d'un geste ferme et précis. Un reste de soleil s'attarde sur le parvis, comme pour lui dire au revoir et à demain avant d'aller se coucher là-bas, derrière l'horizon. Un regard machinal sur la rue, sur ces voitures qui, redémarrant au feu du carrefour et filent en hâte vers le carrefour suivant, vers les prochains feux tricolores. Un haussement bref de ses épaules frêles, et la voilà partie, de son pas modeste et précautionneux qu'elle semble égrener comme les grains d'un chapelet, à l'image de ceux de son chapelet de nacre reçu de sa grand-mère le jour de ses vingt ans et qui ne quitte jamais sa poche. Ce chapelet que sa main fripée parcourt presque sans discontinuer mais que n'ont pas usé presque sept décennies de Pater Noster et d'Ave Maria silencieux, murmurés, marmonnés, ânonnés, voire chantés (dans ce cas vraiment faux, mais de tout cœur). Elle, c'est Marie-Angélique, quatre-vingt-neuf ans, l'âme sûre et fidèle à qui a été confiée la tâche d'ouvrir l'église pour le premier Angelus, à sept heures, et de la refermer lors du troisième et dernier de la journée, à dix-neuf heures. Pardon … à sept heures du soir. Une seule rafale du vent qui caracole si souvent dans la rue (et sans s'arrêter aux feux, qui plus est) suffirait à la jeter sur le goudron, alors vous pensez, si un costaud fier de ses muscles s'y mettait … Mais Dieu seul sait (Il doit bien être le seul à savoir) par quel miracle nul ne s'en est jamais pris à Marie-Angélique. "Hm ! fait-elle volontiers. Et les Anges Gardiens, vous les oubliez donc ? Je prie le mien tous les jours, et je sais que je peux compter sur lui." Bon … si elle le dit … On la croit forcément, elle a une telle foi ! Pourquoi, direz-vous peut-être, ne confie-t-on pas la clef de l'église à quelqu'un de plus jeune et pour qui il serait moins risqué d'aller par les rues à une heure où les petites vieilles mangent tranquillement leur soupe ? Mais parce-qu'elle s'y oppose, Marie-Angélique ! Et catégoriquement, encore ! "Ah non, hein ! Je ne sais plus faire que ça, alors si on me prend mon travail, je vais me retrouver au chômage !" Donc on la laisse en cet emploi de paroissienne-tourière. Et puis c'est vrai, le chômage à son âge … Il faut dire, aussi, que cette église, c'est un peu SON église, à Marie-Angélique. Il ne saurait en aller autrement, puisqu'il s'agit de l'église Notre-Dame-des-Anges. Argument imparable, vous en conviendrez … Notre-Dame-des-Anges n'a rien de remarquable. Ce n'est même pas un bel édifice. Une église des faubourgs, dans le plus pur style Sulpicien Ronflant. Et en plus, elle n'a pas vraiment un parvis digne de ce nom. Tout juste un seuil courtaud constitué de deux marches usées qui vous jettent sur un trottoir chiche et de là dans la rue où les voitures courent après les feux verts et le vent après les voitures. Une de ces églises où la peinture défraîchie s'écaille au hasard de la fantaisie d'une humidité persistante qui pourrait bien s'être réfugiée là pour se mettre à l'abri du vent et de la circulation urbaine. Bref, rien à voir, en somme. Enfin si ! Notre-Dame-des-Anges est restée dans son jus, oubliée par le tourbillon qui, à l'issue du dernier Concile, a changé la disposition des autels et le decorum de la messe. Dommage qu'on ne l'ait pas aménagée elle aussi, cette église, ont dit beaucoup, les plus facétieux ajoutant : "Cela aurait peut-être fait fuir l'humidité !" Grimace mécontente de Marie-Angélique qui y tient, elle, à la messe en latin, qui y a même tenu tout au long des cinq décennies durant lesquelles plus aucun verset sacré (latin ou français) ne s'est fait entendre sous les pieuses voûtes de Notre-Dame-des Anges. Or, voici moins d'un an, le Grand Jour est enfin arrivé : celui du retour de la messe en latin, dite par un prêtre en soutane, la quarantaine (un jeune, quoi), et à qui l'on s'adresse en l'appelant Monsieur l'Abbé. Liesse chez Marie-Angélique ! Elle a acheté de pleines brassées de fleurs afin d'orner dignement le lieu saint redevenu "actif". Elle a fait provision, aussi, de moult petits bouquets destinés à parer tout ce que son appartement compte de statues, de tableaux et d'images dévotes en l'honneur du Christ, de la Vierge Marie, de Saint Joseph (quelqu'un qu'on oublie trop, selon Marie-Angélique), de nombreux autres Saints et, bien-sûr, des Anges, Saint Michel en tête. Et il fallait voir avec quelle fébrilité, avec quel empressement, elle trottinait de-ci, de-là, pendant qu'une armada de fidèles nettoyait ceci, réparait cela, dans tous les coins et recoins de l'église, et comment elle prodiguait un petit avis à l'un, un encouragement à l'autre, une recommandation au troisième … Grand-messe chantée dès le dimanche suivant. Le petit chœur formé à la hâte n'a pas livré le meilleur du grégorien, mais pour Marie-Angélique, c'était comme si les Anges eux-mêmes faisaient entendre leur céleste harmonie. Depuis, elle occupe la même place au premier rang lors des deux messes que l'Abbé célèbre à Notre-Dame-des-Anges chaque semaine : le dimanche, bien-sûr, mais aussi le jeudi. C'est qu'il faut partager un même prêtre avec une autre communauté paroissiale, à cinquante kilomètres. "Dieu vous protège !" lui dit souvent Marie-Angélique.

*** A suivre ... ***


Poème posté le 16/07/22 par Ombrefeuille


 Poète
Ombrefeuille



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