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Poésie libre / Le rendez-vous des Anges - 3e partie
              
Poésie libre / Le rendez-vous des Anges - 3e partie
         
Poésie libre / Le rendez-vous des Anges - 3e partie

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Le rendez-vous des Anges - 3e partie
par Ombrefeuille


* * * * * Conte * * * * * Au moment exact où Marie-Angélique se saisit des lunettes qui l'attendent sagement sur le banc où elle les a pieusement oubliées voici peu, quelque chose attire son attention. C'est comme un silence, plus intense, et qu'on dirait habité. Il y a dans la nef sombre une tranquillité qui dépasse le perceptible, une paix qui transcende le concevable. Les dalles de l'allée centrale, qui dormaient sous un peu de poussière de latin, se mettent à réfléchir une clarté pareille à celle d'un matin de Pâques et profonde comme une forêt d'automne. Seraient-ce les fleurs des bouquets qui sentent si bon, tout-à-coup ? On croirait qu'une prairie s'éveille en sa parure de rosée sous la caresse d'un soleil d'aurore … Devant les yeux étonnés de Marie-Angélique, les six grands cierges du maître-autel dans leurs candélabres s'éclairent, comme frôlés par une main invisible. Leur flamme toute droite s'orne même du petit panache de fumée coutumier. Et cependant qu'un voile d'encens plane à hauteur des vitraux du chœur, un murmure d'une douceur exquise se fait entendre au pied de l'orgue. D'abord ténu puis de plus en plus affirmé, il s'élève avec une souplesse égale à celle de l'encens dont les volutes dansent toujours là-haut, devant les vitraux vêtus de nuit. Ce murmure est-il le vent, entré ici par effraction ? Non, c'est un chœur, et ce qu'il chante est ineffable. Les mots sont bel et bien du latin (Marie-Angélique les reconnaît) mais jamais on n'a entendu une hymne aussi parfaite. Ni des voix de cette espèce. La tessiture, d'une limpidité sublime, est celle des chœurs d'enfants, mais la force, l'intensité, la véhémence, avec quelque chose proche de la virilité-même, évoque plutôt aux oreilles de Marie-Angélique les chœurs de l'Armée Française. La comparaison est incongrue, c'est vrai, mais allez trouver dans la palette des voix humaines une image qui réunisse tant de délicatesse et tant de puissance et en fasse une alliance aussi aboutie ! Marie-Angélique, à la fois craintive et confiante, s'approche, se coule, jusqu'aux bancs habituellement réservés aux chantres. Ce qu'elle voit alors la cloue sur place d'étonnement et la ravit de joie. Ce sont des Anges ! Oui, des Anges, car quel autre nom donner à des êtres qui peuvent se tenir à la fois à hauteur d'homme et au ras des voûtes ? Comment appeler autrement des créatures aux traits parfaits, capables de chanter à pleine voix sans reprendre leur souffle à aucun moment ? Ailés ou non (Marie-Angélique ne saurait dire), ils se déplacent librement, et quand ils demeurent immobiles, ils sont tels des arbres où passent le ciel et la brise. Soudain Marie-Angélique sursaute : ils ont fait cercle autour d'elle sans interrompre leur chant. Tous lui sourient et tous, cependant, ont le regard tourné vers les cieux, vers l'invisible. Puis l'un d'entre eux adresse à Marie-Angélique un signe de la main, souple et serein, une invitation à s'en aller, car il se fait tard. Elle quitte son banc, fait face au tabernacle une génuflexion totale, alors qu'elle ne le peut plus depuis quelques années, puis sort et referme la lourde porte comme si de rien n'était. Dans la rue, son pas se pose à peine sur le trottoir. On dirait qu'elle marche sur l'air. Arrivée chez elle, elle ne pense ni à sa verveine ni à ses mots croisés. Elle répète à mi-voix, pour elle-même : "J'ai entendu le chant des cieux ! Les Anges ! Mon Dieu ! C'étaient des Anges et ils m'ont souri !" Elle revoit ces instants hors du temps, hors du monde. Elle se revoit entrant, avec en tête un seul but : récupérer ses lunettes. Elle en a même oublié l'alarme … Mais c'est vrai, ça ! Elle a oublié de désactiver l'alarme, et celle-ci ne s'est pas déclenchée ! "Mon Dieu ! Les Anges ! Ils étaient donc là pour moi …" Elle va se coucher (il n'est pas loin de minuit) et s'endort aussitôt. Ce qui la réveille, c'est un serrement violent dans la poitrine, qui l'oppresse à l'étouffer. Alors qu'elle cherche à se relever sur les coudes, bouche grande ouverte en quête d'air, une clarté se dessine sur le mur face à elle. S'y mêle ce parfum de prairie qui l'a tant ravie. Se fait alors entendre ce chœur ineffable, aux voix pures et déjà mûres. Des silhouettes d'Anges se laissent deviner, quand l'une d'entre elles se détache, s'avance et tend vers Marie-Angélique une main en manière d'invitation : "Il est tard, Marie-Angélique. Il est temps de vous reposer. Je suis envoyé pour vous conduire jusqu'en l'éternelle aurore où luit la Lumière sans déclin et où se goûte une paix sans mélange." Elle le reconnaît aussitôt sans l'avoir jamais vu de ses yeux de chair : c'est son Ange Gardien ! Elle l'a tellement prié qu'elle le reconnaîtrait entre mille. Alors, dans un déchirement ultime qui rejette son pauvre corps tout frêle sur son lit, son âme s'échappe, court, vole, à la suite de son Ange, parmi le jaillissement puissant des hymnes célestes et sur l'aile d'un encens dont le parfum est inconnu sur terre. Vers huit heures, le plus anticlérical du quartier, passant comme chaque matin à la même heure, sa baguette-bien-cuite-avec-les-bouts-pointus sous le bras, sur le trottoir qui fait face à l'entrée de Notre-Dame-des-Anges parce-que c'est celui qui reçoit le soleil quand il y en a, et tournant à son habitude la tête du côté de l'église, histoire de voir un peu, pile net, médusé : "Ben !... Y-z-ouvrent pas, aujourd'hui ? Font pas grève, quand-même ?! C'est qu'il est arrivé quèqu'chôz à la mémé." L'Abbé arrive à ce moment pour la messe de huit heures et demie. L'autre n'hésite pas et va droit à lui. C'est la première fois qu'il adresse la parole à un curé (en soutane ou non) depuis … Dieu seul sait quand ! * * * * * F I N * * * * *



Deux figures tutélaires ont présidé à la rédaction de ce conte :
- Alphonse Daudet, dont les "Lettres de mon moulin" savent si bien lier le proche et l'insaisissable, le concret et le merveilleux
- Vladimir Volkoff, dont les "Chroniques Angéliques" (Editions De Fallois - L'Age d'Homme - 1997) savent rendre la présence consolante des Anges dans la vie de gens les plus divers et parfois inattendus



Poème posté le 10/08/22 par Ombrefeuille


 Poète
Ombrefeuille



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