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Le porche
par Ombrefeuille


Depuis l'aube crue j'avançais Sur une route sans rivages, Et confusément j'entendais Ramper les ombres des orages. Le jour avait cet air absent Qu'on voit aux rues hallucinées Quand un brouillard luminescent S'y couvre d'heures disloquées. Du sommeil trouble des sous-bois Et du cauchemar des vallées M'arrivaient de mouvantes voix, Gommées aussitôt qu'ébauchées. Je marchais toujours, et des mains, Comme s'arrachant à la terre, S'accrochaient à mes pas lointains, M'enjoignant de ne point me taire. "Que dois-je dire ? - N'y va pas ! - Mais où donc ? - S'il-te-plaît, arrête ! - Mais quoi donc ? - Dis-leur que là-bas Déjà la mort, vile, nous guette !" Je découvris avec effroi Sous mes pieds une voie ferrée Qui, semblant se jouer de moi, Se hâtait, comme possédée. Le vent luisait sur le métal, Telle une tranchante évidence, Tandis qu'un soleil minéral S'était figé dans le silence. Sous un vacarme grandissant, Les rails devenaient la nuit-même, Avalant le long crissement D'une gare déserte et blême. Dix fois, cent fois je trébuchai Sur les traverses saccadées, Puis me relevai, puis tombai Parmi les brumes fracassées. "Ô voix ! Que sont donc devenus Vos souffles du fond de la terre ? Ô mains ! Je ne vous entends plus ... Quel démon vous a donc fait taire ? - Tout est compté, tout est pesé,* Jusqu'aux moindres fibres du monde ... Hélas ! Tout sera partagé* : L'homme, l'atome, la seconde." Une terreur en moi montait Et rendait mes gestes liquides, Le temps lui-même s'effondrait, Torturé de remords livides. Le porche était là, devant moi, Qui m'aspirait, inexorable, Gueule ouverte sur un ciel froid, Dressé sur un vide implacable. Capable d'abattre un géant Et de briser tout équilibre, Il portait le sceau du néant Et ces mots : "Le travail rend libre"**. Crier, hurler, de tout mon corps ! Héla ! Qui aurait pu comprendre ? Coûte que coûte, fuir alors ! Trop tard !... Je n'étais plus que cendre.

Je publie ce texte à la mémoire de ceux
qui connurent la déportation, à Auschwitz et ailleurs.
Puissions-nous ne jamais oublier, alorsqu'on s'apprête
à marquer les 75 ansde la libération
du camp d'Auschwitz.

J'ai choisi la trame volontairement confuse
du cauchemar pour traduire l'épouvante
que suscite en moi la simple vue d'une
photo du trop célèbre porche.
Une épouvante que j'ai éprouvée lors de la
très longue scène de l'arrivée d'un train
de déportés à Auschwitz dans le film
"La liste de Schindler" de Steven Spielberg.

* Ces passages sont extraits de la Bible :
Livre de Daniel - Chapitre 5, versets 1 à 28.
** Traduction littérale des mots "Arbeit macht frei"
inscrits à l'entrée du camp d'Auschwitz



Poème posté le 25/01/20 par Ombrefeuille


 Poète
Ombrefeuille



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