Pour gagner quatre sous je frotte les parquets,
Puis je vais au lavoir et je bats la lessive.
Alors j'ai dans les yeux le souffle des forêts,
Le frisson des blés mûrs, les senteurs de la rive.
Je vole mes couleurs et grapille en passant
La terre d'un coin d'ombre et la cire à l'église
Et, dans la boucherie, jusqu'à ce peu de sang
Qu'on n'a pas travaillé. Pas vue, dit-on, pas prise !
La nuit, dans ma chambrette aux vieux murs sans soleil,
Je fais naître des fleurs et des fruits sur la planche
Qu'au sol j'ai déposée. Là, je fuis le sommeil
Et, des heures durant, sur l'œuvre je me penche.
Ne me demandez pas si mes tableaux sont beaux :
Ils sont ! Ça me suffit. Ils sont ! Je m'en contente.
Sujets inattendus ? Motifs originaux ?
Si vous voulez ! Mais moi, je peins ce qui me chante.
On me parle soudain d'acheter, de montrer
Ce que dans le halo tremblant d'une bougie
J'ai longuement créé. On parle d'exposer,
On parle de Paris et d'une galerie.
Je suis donc une artiste et j'ai donc du talent ?
Ce monde où je perds pied ne connaît pas mon âme,
Ne sait pas que j'entends l'intime battement
De la sève dans l'arbre où le silence est flamme.
Qu'on me laisse rêver de noces sans époux,
De maison sans loyer où vivre enfin tranquille !
Qu'importe si mes pas ont le regard des fous !
Mais voici qu'un beau jour on m'emmène à l'asile.
Je ne veux plus toucher ni toiles ni pinceaux :
Je peindrai sur le ciel qui s'échoue dans ma tête
Déchirements du vent, fenêtres sans rideaux,
Je ne suis que ce vide où l'infini s'arrête.
Inspiré par la vie de Séraphine Louis (1864 - 1942), peintre passé à la postérité sous le nom de Séraphine de Senlis.
D'après le film "Séraphine" de Martin Provost (2008) avec Yolande Moreau dans le rôle-titre. Ce film a fait l'objet d'une diffusion sur Arte en août 2021. Autre source : l'article Wikipedia consacré à Séraphine de Senlis.
La peinture de Séraphine de Senlis est classée dans l'art brut, aussi appelé art naïf.
Ses œuvres sont remarquées par le collectionneur et marchand d'art Wilhelm Uhde qui les achète afin de les exposer dans sa galerie. La chose perturbe profondément Séraphine qui sombre alors dans la folie.
Internée à l'asile de Clermont en 1935, elle refuse d'y peindre quoi que ce soit. C'est là qu'elle meurt de faim en 1942. Elle souffrait également d'un cancer du sein.
On l'enterre dans une fosse commune.
Pour voir quelques-unes des oeuvres de Séraphine de Senlis, cliquer sur le lien
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