Le vol du chironome
par Lau
Ces grands esprits parlant avec ces grands fantômes* :
Leur vers est un organe et les rimes, atomes
Qui chantent à l’oreille ont l’écho de ces sons
Poussés par une lyre ou par les balafons
D’Afrique ; il nous aveugle à l’or de la crinière
Des lions assoupis, nous mène à la tanière
De fauves monstrueux mais le lecteur fervent
Aime ainsi s’apeurer, s’en remet au savant,
Alchimiste des mots, on y meurt, on s’y penche ;
Il nous émeut, nous glisse en sa folle avalanche.
De déluge en cascade, au réel, il soustrait
Notre humeur engoncée, à ce monde, il voudrait
Nous emmener si loin vers l’azur, que s’émousse
Le frein du quotidien quand, à ses côtés, mousse,
Par l’écoute, l’on hisse à ce bateau gréé,
Un étendard complice et par ses soins, créé.
Hölderlin, Hugo, Mallarmé, Verlaine ou Goethe,
Voyager avec eux, c’est être un peu choreute
Et les accompagner au brûlant du désert,
C’est s’assoiffer joyeusement lors d’un concert
En différé ; comme d’un vin, trouver la note
Singulière, un trésor que, seul, l’océanaute
Au cœur d’une Atlantide, au large de Corfou,
Dans les abysses au cœur d’un cyclone fou,
Une gemme, un graal, cache sous une geste
Ou sur la dualité d’un distique preste.
C’est lire encor relire à se sentir heureux
S’extasier de l’almée –autant du lépreux-
Ressentir sur la peau souffler les vents lunaires,
Simplement siffloter au son des limonaires,
Rêver l’instant sacré que le poète écrit
Aux sources d’un étymon grec, latin, sanskrit,
Se poser, admirer le minois d’une dame
Inconnue, elle est belle et toujours un dictame ;
Sens dessus-dessous, soûls, il faudrait l’anoblir
Lui qui, le bibelot, voulait tant abolir
Mais il est déjà roi, prince des nycthémères,
Géant des cieux, le magicien des chimères !
Je les ai lus cent fois, ils m’ont tant appâté,
Je me surprends parfois me dire en aparté,
- Tente donc un poème et peins ce bel asile,
Invente, écris comme eux, l’inédit temps d’une île...
Je glisse alors, aux grinçants rails, mon petit train,
Chante sur ma musique un gentillet refrain,
Déclame quelque strophe au son d’un métronome,
Amusé, mais, ma foi, je suis un chironome.
* Dernier vers de « Un poète est un monde » in La légende des siècles, Victor Hugo.
Poème posté le 21/02/23
par Lau