Au platane
par Paul VALERY
Tu penches, grand
Platane, et te proposes nu,
Blanc comme un jeune
Scythe,
Mais ta candeur est prise, et ton pied retenu
Par la force du site.
Ombre retentissante en qui le même azur
Qui t'emporte, s'apaise,
La noire mère astreint ce pied natal et pur
A qui la fange pèse.
De ton front voyageur les vents ne veulent pas ;
La terre tendre et sombre,
O
Platane, jamais ne laissera d'un pas
S'émerveiller ton ombre !
Ce front n'aura d'accès qu'aux degrés lumineux
Où la sève l'exalte;
Tu peux grandir, candeur, mais non rompre les
De l'éternelle halte! [nœuds
Pressens autour de toi d'autres vivants liés
Par l'hydre vénérable;
Tes pareils sont nombreux, des pins aux peupliers,
De l'yeuse à l'érable,
Qui, par les morts saisis, les pieds échevelés
Dans la confuse cendre,
Sentent les fuir les fleurs, et leurs spermes ailés
Le cours léger descendre.
Le tremble pur, le charme, et ce hêtre formé
De quatre jeunes femmes, ~Ne cessent point de battre un ciel toujours fermé,
Vêtus en vain de rames.
Ils vivent séparés, ils pleurent confondus
Dans une seule absence,
Et leurs membres d'argent sont vainement fendus
A leur douce naissance.
Quand l'âme lentement qu'ils expirent le soir
Vers l'Aphrodite monte,
La vierge doit dans l'ombre, en silence, s'asseoir,
Toute chaude de honte.
Elle se sent surprendre, et pâle, appartenir
A ce tendre présage
Qu'une présente chair tourne vers l'avenir
Par un jeune visage...
Mais toi, de bras plus purs que les bras animaux,
Toi qui dans l'or les plonges,
Toi qui formes au jour le fantôme des maux
Que le sommeil fait songes,
Haute profusion de feuilles, trouble fier
Quand l'âpre tramontane
Sonne, au comble de l'or, l'azur du jeune hiver
Sur tes harpes,
Platane,
Ose gémir!...
Il faut, ô souple chair du bois,
Te tordre, te détordre,
Te plaindre sans te rompre, et rendre aux vents la voix
Qu'ils cherchent en désordre!
Flagelle-toi!,..
Parais l'impatient martyr
Qui soi-même s'écorche,
Et dispute à la flamme impuissante à partir
Ses retours vers la torche!
Afin que l'hymne monte aux oiseaux qui naîtront,
Et que le pur de l'âme
Fasse frémir d'espoir les feuillages d'un tronc
Qui rêve de la flamme,
Je t'ai choisi, puissant personnage d'un parc,
Ivre de ton tangage,
Puisque le ciel t'exerce, et te presse, ô grand arc,
De lui rendre un langage!
O qu'amoureusement des
Dryades rival,
Le seul poète puisse
Flatter ton corps poli comme il fait du
Cheval
L'ambitieuse cuisse!... — «
Non », dit l'arbre.
Il dit :
Non! par
Vétincellement
De sa tête superbe,
Que la tempête traite universellement
Comme elle fait une herbe!
Paul Valéry
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Poème posté le 29/07/19
par Ancienmembre