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Poésie d'hier / Le Misanthrope (Acte I, scène II)
           
Poésie d'hier / Le Misanthrope (Acte I, scène II)
       
Poésie d'hier / Le Misanthrope (Acte I, scène II)

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Le Misanthrope (Acte I, scène II)
par Jean-Baptiste POQUELIN


par Jim


ORONTE, ALCESTE, PHILINTE. ORONTE J’ai su là-bas que, pour quelques emplettes Éliante est sortie, et Célimène aussi : Mais, comme l’on m’a dit que vous étiez ici, J’ai monté, pour vous dire, et d’un cœur véritable, Que j’ai conçu pour vous, une estime incroyable ; Et que, depuis longtemps, cette estime m’a mis Dans un ardent désir d’être de vos amis. Oui, mon cœur, au mérite, aime à rendre justice, Et je brûle qu’un nœud d’amitié nous unisse : Je crois qu’un ami chaud, et de ma qualité, N’est pas, assurément, pour être rejeté. C’est à vous, s’il vous plaît, que ce discours s’adresse. En cet endroit Alceste paraît tout rêveur, et semble n’entendre pas qu’Oronte lui parle. ALCESTE À moi, Monsieur ? ORONTE À vous. Trouvez-vous qu’il vous blesse ? ALCESTE Non pas, mais la surprise est fort grande pour moi, Et je n’attendais pas l’honneur que je reçoi. ORONTE L’estime où je vous tiens ne doit point vous surprendre, Et de tout l’univers, vous la pouvez prétendre. ALCESTE Monsieur... ORONTE L’État n’a rien qui ne soit au-dessous Du mérite éclatant que l’on découvre en vous. ALCESTE Monsieur... ORONTE Oui, de ma part, je vous tiens préférable À tout ce que j’y vois de plus considérable. ALCESTE Monsieur... ORONTE Sois-je du Ciel écrasé, si je mens ; Et pour vous confirmer ici, mes sentiments, Souffrez qu’à cœur ouvert, Monsieur, je vous embrasse, Et qu’en votre amitié, je vous demande place. Touchez là, s’il vous plaît, vous me la promettez Votre amitié ? ALCESTE Monsieur... ORONTE Quoi ! vous y résistez ? ALCESTE Monsieur, c’est trop d’honneur que vous me voulez faire ; Mais l’amitié demande un peu plus de mystère, Et c’est, assurément, en profaner le nom, Que de vouloir le mettre à toute occasion. Avec lumière et choix, cette union veut naître, Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître ; Et nous pourrions avoir telles complexions, Que tous deux, du marché, nous nous repentirions. ORONTE Parbleu, c’est là-dessus, parler en homme sage, Et je vous en estime, encore, davantage : Souffrons, donc, que le temps forme des nœuds si doux. Mais, cependant, je m’offre entièrement à vous ; S’il faut faire à la cour, pour vous, quelque ouverture, On sait, qu’auprès du Roi, je fais quelque figure, Il m’écoute, et dans tout, il en use, ma foi, Le plus honnêtement du monde, avecque moi. Enfin, je suis à vous, de toutes les manières ; Et, comme votre esprit a de grandes lumières, Je viens, pour commencer, entre nous, ce beau nœud, Vous montrer un sonnet, que j’ai fait depuis peu, Et savoir s’il est bon qu’au public je l’expose. ALCESTE Monsieur, je suis mal propre à décider la chose, Veuillez m’en dispenser. ORONTE Pourquoi ? ALCESTE J’ai le défaut D’être un peu plus sincère, en cela, qu’il ne faut. ORONTE C’est ce que je demande, et j’aurais lieu de plainte, Si m’exposant à vous, pour me parler, sans feinte, Vous alliez me trahir, et me déguiser rien. ALCESTE Puisqu’il vous plaît ainsi, Monsieur, je le veux bien. ORONTE Sonnet... C’est un sonnet. L’espoir... C’est une dame, Qui, de quelque espérance, avait flatté ma flamme. L’espoir... Ce ne sont point de ces grands vers pompeux, Mais de petits vers doux, tendres, et langoureux. À toutes ces interruptions il regarde Alceste. ALCESTE Nous verrons bien. ORONTE L’espoir... Je ne sais si le style Pourra vous en paraître assez net, et facile ; Et si, du choix des mots, vous vous contenterez. ALCESTE Nous allons voir, Monsieur. ORONTE Au reste, vous saurez, Que je n’ai demeuré qu’un quart d’heure à le faire. ALCESTE Voyons, Monsieur, le temps ne fait rien à l’affaire. ORONTE L’espoir, il est vrai, nous soulage, Et nous berce un temps, notre ennui : Mais, Philis, le triste avantage, Lorsque rien ne marche après lui ! PHILINTE Je suis déjà charmé de ce petit morceau. ALCESTE, bas. Quoi ! vous avez le front de trouver cela beau ? ORONTE Vous eûtes de la complaisance, Mais vous en deviez moins avoir ; Et ne vous pas mettre en dépense Pour ne me donner que l’espoir. PHILINTE Ah ! qu’en termes galants, ces choses-là sont mises ! ALCESTE, bas. Morbleu, vil complaisant, vous louez des sottises ? ORONTE S’il faut qu’une attente éternelle Pousse à bout, l’ardeur de mon zèle, Le trépas sera mon recours. Vos soins ne m’en peuvent distraire Belle Philis, on désespère, Alors qu’on espère toujours. PHILINTE La chute en est jolie, amoureuse, admirable. ALCESTE, bas. La peste de ta chute ! Empoisonneur au diable, En eusses-tu fait une à te casser le nez. PHILINTE Je n’ai jamais ouï de vers si bien tournés. ALCESTE Morbleu... ORONTE Vous me flattez, et vous croyez, peut-être... PHILINTE Non, je ne flatte point. ALCESTE, bas. Et que fais-tu, donc, traître ? ORONTE Mais, pour vous, vous savez quel est notre traité ; Parlez-moi, je vous prie, avec sincérité. ALCESTE Monsieur, cette matière est toujours délicate, Et, sur le bel esprit, nous aimons qu’on nous flatte : Mais un jour, à quelqu’un, dont je tairai le nom, Je disais, en voyant des vers de sa façon, Qu’il faut qu’un galant homme ait toujours grand empire Sur les démangeaisons qui nous prennent d’écrire ; Qu’il doit tenir la bride aux grands empressements Qu’on a de faire éclat de tels amusements ; Et que, par la chaleur de montrer ses ouvrages, On s’expose à jouer de mauvais personnages. ORONTE Est-ce que vous voulez me déclarer, par là, Que j’ai tort de vouloir... ALCESTE Je ne dis pas cela : Mais je lui disais, moi, qu’un froid écrit assomme, Qu’il ne faut que ce faible, à décrier un homme ; Et qu’eût-on, d’autre part, cent belles qualités, On regarde les gens, par leurs méchants côtés. ORONTE Est-ce qu’à mon sonnet, vous trouvez à redire ? ALCESTE Je ne dis pas cela ; mais, pour ne point écrire, Je lui mettais aux yeux, comme dans notre temps, Cette soif a gâté de fort honnêtes gens. ORONTE Est-ce que j’écris mal ? et leur ressemblerais-je ? ALCESTE Je ne dis pas cela ; mais, enfin, lui disais-je, Quel besoin, si pressant, avez-vous de rimer ? Et qui, diantre, vous pousse à vous faire imprimer ? Si l’on peut pardonner l’essor d’un mauvais livre, Ce n’est qu’aux malheureux, qui composent pour vivre. Croyez-moi, résistez à vos tentations, Dérobez au public, ces occupations ; Et n’allez point quitter, de quoi que l’on vous somme, Le nom que, dans la cour, vous avez d’honnête homme, Pour prendre, de la main d’un avide imprimeur, Celui de ridicule, et misérable auteur. C’est ce que je tâchai de lui faire comprendre. ORONTE Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre. Mais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet... ALCESTE Franchement, il est bon à mettre au cabinet ; Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles, Et vos expressions ne sont point naturelles. Qu’est-ce que nous berce un temps, notre ennui, Et que rien ne marche après lui ? Que ne vous pas mettre en dépense, Pour ne me donner que l’espoir ? Et que Philis, on désespère, Alors qu’on espère toujours ? Ce style figuré, dont on fait vanité, Sort du bon caractère, et de la vérité ; Ce n’est que jeu de mots, qu’affectation pure, Et ce n’est point ainsi, que parle la nature. Le méchant goût du siècle, en cela, me fait peur, Nos pères, tous grossiers , l’avaient beaucoup meilleur ; Et je prise bien moins, tout ce que l’on admire, Qu’une vieille chanson, que je m’en vais vous dire. Si le Roi m’avait donné Paris sa grand’ville, Et qu’il me fallût quitter L’amour de ma mie ; Je dirais au roi Henri "Reprenez votre Paris, J’aime mieux ma mie, au gué, J’aime mieux ma mie. La rime n’est pas riche, et le style en est vieux : Mais ne voyez-vous pas, que cela vaut bien mieux Que ces colifichets, dont le bon sens murmure, Et que la passion parle là, toute pure ? Si le Roi m’avait donné Paris sa grand’ville, Et qu’il me fallût quitter L’amour de ma mie ; Je dirais au roi Henri, "Reprenez votre Paris, J’aime mieux ma mie, au gué, J’aime mieux ma mie." Voilà ce que peut dire un cœur vraiment épris. (À Philinte) Oui, Monsieur le rieur, malgré vos beaux esprits, J’estime plus cela que la pompe fleurie De tous ces faux brillants, où chacun se récrie. ORONTE Et moi, je vous soutiens que mes vers sont fort bons. ALCESTE Pour les trouver ainsi, vous avez vos raisons ; Mais vous trouverez bon, que j’en puisse avoir d’autres Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres. ORONTE Il me suffit de voir que d’autres en font cas. ALCESTE C’est qu’ils ont l’art de feindre ; et moi, je ne l’ai pas. ORONTE Croyez-vous, donc, avoir tant d’esprit en partage ? ALCESTE Si je louais vos vers, j’en aurais davantage. ORONTE Je me passerai bien que vous les approuviez. ALCESTE Il faut bien, s’il vous plaît, que vous vous en passiez. ORONTE Je voudrais bien, pour voir, que de votre manière Vous en composassiez sur la même matière. ALCESTE J’en pourrais, par malheur, faire d’aussi méchants ; Mais je me garderais de les montrer aux gens. ORONTE Vous me parlez bien ferme, et cette suffisance... ALCESTE Autre part que chez moi, cherchez qui vous encense. ORONTE Mais, mon petit Monsieur, prenez-le un peu moins haut. ALCESTE Ma foi, mon grand Monsieur, je le prends comme il faut. PHILINTE, se mettant entre deux. Eh ! Messieurs, c’en est trop, laissez cela, de grâce. ORONTE Ah ! j’ai tort, je l’avoue, et je quitte la place ; Je suis votre valet, Monsieur, de tout mon cœur. ALCESTE Et moi, je suis, Monsieur, votre humble serviteur.



Poème posté le 01/08/20 par Jim

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 Poète
Jean-Baptiste POQUELIN



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 Interprète
Jim



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