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Poésie d'hier / Les maisons des pauvres .
              
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Poésie d'hier / Les maisons des pauvres .

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Les maisons des pauvres .
par Jehan RICTUS


N’empêch’ si jamais j’ venais riche, Moi aussi j’ f’rais bâtir eun’ niche Pour les vaincus... les écrasés, Les sans-espoir... les sans-baisers, Pour ceuss’ là qui z’en ont soupé, Pour les Écœurés, les Trahis, Pour les Pâles, les Désolés, À qui qu’on a toujours menti Et que les roublards ont roulés ; Eun’ mason... un cottage... eun’ planque, Ousqu’on trouv’rait miséricorde, Pus prop’s que ces turn’s à la manque Ousque l’on roupille à la corde ; Pus chouatt’s que ces Asil’s de nuit Qui bouclent dans l’après-midi, Où les ronds-d’-cuir pleins de mépris (Les préposés à la tristesse) Manqu’nt d’amour et de politesse ; Eun’ Mason, Seigneur, un Foyer Où y aurait pus à travailler, Où y aurait pus d’ terme à payer, Pus d’ proprio, d’ pip’let, d’huissier. Y suffirait d’êt’ su’ la Terre Crevé, loufoque et solitaire, D’ sentir venir son dergnier soir Pour pousser la porte et... s’asseoir. Quand qu’on aurait tourné l’ bouton Personn’ vourait savoir vot’ nom Et vous dirait – « Quoi c’est qu’ vous faites ? Si you plaît ? Qui c’est que vous êtes ? » Non, pas d’ méfiance ou d’ paperasses, Toujours à pister votre trace, Avec leur manie d’étiqu’ter ; Ça n’est pas d’ la fraternité ! Mais on dirait ben au contraire : – « Entrez, entrez donc, mon ami, Mettez-vous à l’ais’, notre frère, Apportez vos poux par ici. » Pein’ dedans gn’aurait des baignoires, Des liquett’s propes... des peignoirs, D’ l’eau chaud’ dedans des robinets Qu’on s’ laiss’rait rigoler su’ l’ masque, Des savons à l’opoponasque, Des bross’s à dents et des bidets. Pis vite.. on s’en irait croûter Croûter d’ la soup’ chaude en Hiver Qui fait « plouf » quand ça tomb’ dans l’ bide, Des frich’tis fumants, des lentilles, Des ragoûts comm’ dans les familles, Des choux n’avec des pomm’s de terre, Des tambouill’s à s’en fair’ péter. Et quand qu’ ça s’rait la bell’ saison On boulott’rait dans le jardin (Gn’en aurait un dans ma Mason Un grand... un immense... un rupin) Ousqu’y aurait des balançoires, Des hamacs... des fauteuils d’osier (Pou’ pouvoir fair’ son Espagnole) Et ça s’rait d’ la choquott’ le soir Quand mont’rait l’ chant du rossignol Et viendrait l’odeur des rosiers. Mais l’Hiver il y f’rait l’ pus bon : Ça s’rait chauffé par tout’s les pièces ; Et les chiott’s où poser ses fesses J’ f’rais mett’ du poil de lapin d’ssus Pou’ pas qu’ ça vous fass’ foid au cul. Et pis dans les chambr’s à coucher Y gn’aurait des pieux à dentelles, D’ la soye... d’ la vouat’... des oneillers, Des draps blancs comm’ pour des mariés, Des lits-cage et mêm’ des berceaux Dans quoi qu’on pourrait s’ fair’ petiots ; Voui des plumards, voui des berceaux Près d’ quoi j’ mettrais esspressément Des jeun’s personn’s, prop’s et girondes, Des rouquin’s, des brun’s et des blondes À qui qu’on pourrait dir’ – « Moman ! » Ça s’rait des Sœurs modèl’ nouveau Qui s’raient sargées d’ vous endormir Et d’ vous consoler gentiment À la façon des petit’s-mères, À qui en beuglant comme un veau (La cabèch’ su’ le polochon), On pourrait conter ses misères : – « Moman, j’ai fait ci et pis ça ! » Et a diraient : – « Ben mon cochon ! » – « Moman, j’ai eu ça et pis ci. » Et a diraient : – « Ben mon salaud ! » « Mais à présent faut pus causer, Faut oublier... faut pus penser , Tâchez moyen d’ vous endormir Et surtout d’ pas vous découvrir. » Ma Mason, v’là tout, ma Mason, Ça s’rait un dortoir pour broyés Ousqu’on viendrait se fair’ choyer Un peu avant sa crevaison Loin des Magistrats de mes... Qu’ont l’ cœur de vous foute en prison Quand qu’on a pus l’ rond et pus d’ turne. Mais pour compléter l’illusion Qu’on est redevenu mignon Tout’s mes Momans à moi, à nous, Faurait qu’a z’ayent de beaux tétons, Lourds, fermes, blancs, durs, rebondis Comm’ les gros tétons des nounous Ou des fermièr’s de Normandie ; Et faurait qu’ ces appâts soyent nus. Mêm’ les gas les pus inconnus, Auraient l’ droit d’y boir’, d’y téter Au moment ousqu’y tourn’raient d’ l’œil. S’ils faisaient la frim’ d’êt’ pas sages Dans leur plumard ou leur fauteuil On s’empress’rait d’ leur apporter Les tétons sortis du corsage, Pleins d’amour et de majesté. Je vois d’ici mes Nounous tendres Introduir’ dans les pauvres gueules De tous les Errants de Paris Le bout de leurs tétons fleuris. Et j’ vois d’ici mes pauv’s frangins Aux dents allongées par la Faim Boir’ les yeux clos et mains crispées Par la mort et par le plaisir. Et pour jamais et pour jamais (Le museau un peu pus content) J’ les vois un à un s’endormir Le bout d’un téton dans les dents..

Soliloques du pauvre.

Poème posté le 29/05/21 par Violette

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 Poète
Jehan RICTUS



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