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Poésie d'hier / Panthée
              
Poésie d'hier / Panthée
         
Poésie d'hier / Panthée

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Panthée
par Tristan L'HERMITE


ARASPE Hôtes du silence et de l'ombre, Où l'air est si frais et si sombre, Arbres, qui connaissez l'état de ma langueur, Soyez les confidents des peines que j'endure, Et souffrez que je grave en votre écorce dure Le beau nom que l'amour a gravé dans mon cœur. Amour, ce conseiller perfide Ce jeune aveugle qui me guide, A causé tous les maux qui me font soupirer ; Il a porté mon âme à suivre ses caprices, Et l'a conduite enfin parmi des précipices D'où jamais ma raison ne put la retirer. Il me fait observer les charmes D'une Reine fondante en larmes Et qui pourrait du Ciel tous les décrets changer. O qu'elle est redoutable encore qu'elle pleure ! Qui peut voir ses beaux yeux sans mourir tout à l'heure Peut voir des basilics sans crainte et sans danger. Ses yeux, ces lumières fatales, Sont des planètes sans égales Qui peuvent à leur gré disposer de mon sort. Mais ô simplicité qui n'a point de seconde ! En nommant ses beaux yeux les plus beaux yeux du monde, Je loue innocemment les auteurs de ma mort. Hélas ! Je suis si misérable En l'état triste et déplorable Où d'abord m'a réduit l'éclat de ses beaux yeux, Et tant d'ennuis secrets me font toujours la guerre Que le temps qui me reste à vivre sur la terre Ne me saurait suffire à me plaindre des Cieux. Depuis la fatale journée Que l'Amour et la Destinée Offrirent à ma vue un chef d'œuvre si beau, J'ai toujours soupiré d'un mal inconsolable, Et n'ai pu concevoir de penser raisonnable Qui ne m'ait conseillé de courir au tombeau. O qu'elle est ingrate et cruelle ! A l'heure que j'eus pitié d'elle, Voyant ses bras captifs sous de honteux liens, J'allais tarir ses pleurs, elle me mit en flamme ; Je rassurai son cœur, elle troubla mon âme, Et me donna des fers quand je rompis les siens. Mes soins ni ma persévérance Ne me donnent point d'espérance Que jamais sa pitié récompense ma foi ; Mais quel bien manquerait au bonheur de ma vie, Et quels rois glorieux me pourraient faire envie, Si ce divin objet avait pitié de moi ? O frivoles discours, paroles insensées, Abradate est l'objet de toutes ses pensées : C'est lui que la Fortune avec trop de rigueur A placé dans son lit et gravé dans son cœur ; C'est son éloignement qui la rend triste et blême ; C'est lui qui la possède en son absence même ; Et c'est la seule amour que son cœur concevra, Au moins autant de temps qu'Abradate vivra. Ennemi de mon bien, obstacle de ma joie Que le Sort enrichit d'une si belle proie, Où te retires-tu ? Je veux t'aller chercher Et l'épée à la main te la faire lâcher : Je ne puis encourir de honte ni de blâme Si j'arrache le cœur à qui vole mon âme ; Aura-t-il sans péril mis ma vie en danger ? Et faut-il que je meure ainsi sans me venger ? Mais, ô dérèglement du mal qui me tourmente ! Panthée est à la fois sa femme et son amante, Et, pensant par sa mort adoucir mon ennui, J'attenterais sur elle entreprenant sur lui ; Je me perdrais moi-même, et j'irais par les armes Confondre en ce malheur mon sang avec ses larmes. Si l'hymen seulement s'opposait à mon bien, Il me serait aisé de rompre son lien ; Mais l'invincible amour qui joint leurs cœurs ensemble Ne permettra jamais que rien les désassemble. Dieux ! Je la vois venir avec tous mes plaisirs ; Cet objet dans mon cœur redouble mes désirs. Amour, divin auteur de mes impatiences, Toi qui passes pour maître en toutes les sciences, Inspire-moi, de grâce, et me fais inventer Un secret pour lui plaire et pour me contenter. (il tire des tablettes) Voici de quoi produire un subtil artifice ; Amour, il vient de toi, fais donc qu'il réussisse.

Acte II, scène I (1639)
Les Tragédies / CHAMPION CLASSIQUES / PARIS (2009)


Poème posté le 11/05/22 par Jim

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 Poète
Tristan L'HERMITE



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