Chant de guerre parisien
par Arthur RIMBAUD
Par son chant de guerre parisien relatif à la Commune...
Le Printemps est évident, car
Du cœur des Propriétés vertes
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes.
Ô mai ! Quels délirants cul-nus !
Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières,
Écoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanières !
Ils ont schako, sabre et tamtam
Non la vieille boîte à bougies
Et des yoles qui n’ont jam…jam…
Fendent le lac aux eaux rougies !…
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanières (1)
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulières.
Thiers et Picard sont des Éros (2)
Des enleveurs d’héliotropes
Au pétrole ils font des Corots.
Voici hannetonner leurs tropes…
Ils sont familiers du grand truc !… (3)
Et couché dans les glaïeuls, Favre,
Fait son cillement aqueduc
Et ses reniflements à poivre !
La Grand-Ville a le pavé chaud
Malgré vos douches de pétrole
Et décidément il nous faut
Nous secouer dans votre rôle…
Et les ruraux qui se prélassent
Dans de longs accroupissements
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements.
1. « Quand viennent sur nos fourmilières », variation de Rimbaud.
2. Importance de la liaison chez un Arthur narquois...
3. il reprend le « turc » de Coppée qu'il transforme en « grand Truc », soit dit Dieu.
... Arthur Rimbaud parodie le « chant de guerre circassien » que François Coppée écrivit dans « Le Reliquaire » en 1866 (Poèmes divers) :
Du Volga, sur leurs bidets grêles,
Les durs Baskirs vont arriver.
Avril est la saison des grêles,
Et les balles vont le prouver.
Les neiges ont fini leurs fontes,
Les champs sont verts d'épis nouveaux ;
Mettons les pistolets aux fontes
Et les harnais d'or aux chevaux.
Que le plus vieux chef du Caucase
Bourre en présence des aînés,
Avec le vélin d'un ukase
Les longs fusils damasquinés !
Qu'on ait le cheval qui se cabre
Sous les fourrures d'Astracan,
Et qu'on ceigne son plus grand sabre,
Son sabre de caïmacan !
Laissons les granges et les forges.
Que les fusils de nos aïeux
Frappent l'écho des vieilles gorges
De leur pétillement joyeux !
Et vous, prouvez, fières épouses,
Que celles-là que nous aimons
Aussi bien que nous sont jalouses
De la neige vierge des monts.
Adieu, femmes qui serez veuves ;
Venez nous tendre l'étrier ;
Et puis, si les cartouches neuves
Nous manquent, au lieu de prier,
Au lieu de filer et de coudre,
Pâles, le blanc linceul des morts,
Au marchand turc, pour de la poudre,
Vendez votre âme et votre corps.
Poésies / Gallimard / NRF - 1984
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Poème posté le 18/11/22
par Jim