Le Vénusberg
par Anatole FRANCE
« J’ai brûlé mes draps d’or et ma viole aussi.
Tandis que le brasier du repentir m’éclaire,
Je vais auprès du Pape avoir de lui merci.
« Ô Saint-Père le Pape, écoutez sans colère
Par quels rares péchés, suaves aux démons,
J’osai, loin de Jésus, grandement lui déplaire.
« Dans le burg enchanté, sur le plus haut des monts,
Chez la belle Vénus, j’ai vécu sept années.
Absolvez-moi, de par Jésus que nous aimons. »
La crosse du Saint-Père en ses mains étonnées
Trembla : « Quand cette crosse aura feuilles et fleurs,
Les fautes que tu fis te seront pardonnées. »
Alors le chevalier s’en alla tout en pleurs :
« Puisque je ne puis plus, ô madame la Vierge,
Espérer, dans le ciel, de porter vos couleurs,
« Ni de brûler pour vous, luisant comme un beau cierge,
Je retourne à jamais dans le burg enchanté,
Afin que la Vénus, tendre dame, m’héberge. »
— « J’ai joie à vous revoir ; grand’joie en vérité ;
Chevalier, seyez-vous et buvez, je vous prie.
Je vous ai, Tannhæser, bien longtemps regretté. »
Or, le troisième jour, la crosse étant fleurie,
Le Saint-Père envoya des courriers promptement,
Pour chercher Tannhæser, par mont, val et prairie,
Tannhæser, chez Vénus, buvait le vin charmant ;
Il y doit composer de longs épithalames,
Jusqu’à l’appel de l’Ange, au jour du Jugement.
Il ne faut pas ainsi désespérer les âmes :
Si ceux-là sont damnés, qui furent amateurs
Du parler clair et du clair sourire des dames,
Hélas ! le Paradis n’aura plus de chanteurs.
In IDYLLES ET LÉGENDES
Poème posté le 20/09/23
par Rickways