Pieds de comtesse
par Jules CANONGE
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PASTEL
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« — Comtesse, en admirant vos pieds,
Je comprends pourquoi tant de femmes
Vont de travers.— Bah ! vous riez ?
— Je ne ris point avec les dames.
Rire est toujours très-imprudent :
On a beau dire, on a beau faire,
Sur le pourquoi, sur le comment,
Amplifier le commentaire,
Si l'on a ri mal-à-propos,
La belle prend un air morose,
Puis, ne répond qu'à demi-mots...
—Marquis, nous parlions d'autre chose.
— Daignez-vous me le rappeler?
— Moi ? non ; mais vous. — Quelle détresse!
De quoi pouvais-je donc parler?...
Ah ! j'y suis: je disais, comtesse,
Je disais que, lorsqu'on a vu
De vos pieds la merveille fine,
.Voyager devient superflu,
Surtout voyager jusqu'en Chine.
J'ai dit que, pour eux, le satin
Est lourd ; qu'il faudrait la pantoufle
Ou d'une fée ou d'un lutin ;
Que les fleurs, quand Zéphyre souffle,
N'ont jamais de balancement
Plus ravissant que votre danse,
Lorsqu'à Versaille un pas charmant
Du menuet suit la cadence.
Je disais que l'oiseau dans l'air,
Le feu follet qui fend l'espace,
Le poisson dans les eaux, l'éclair,
Sont moins brillants, ont moins de grâce;
Qu'enfin, le mortel qui verrait
Frétiller dans une onde pure
Ce merveilleux pied, rêverait
Tout l'Olympe en miniature !...
— Ce n'est point cela. Vous parliez,
Je crois, des dangers qu'une femme
Court dans le monde, quand ses pieds
Ne sont pas... — M'y voilà, madame !
Je soutenais et je maintien
Qu'un pied parfait ne peut conduire
Que vers le beau, que vers le bien!...
— C'est là ce que vous vouliez dire ?
Marquis, vous avez plus d'esprit
Que Molière n'en développe.
Adieu. » L'étourdi ne comprit
Qu'en assistant au Mysanlhrope.
Je n'ai pas besoin d'ajouter
Qu'il dirigea l'absurde rage
Des fats que l'on vit insulter
La gloire de ce noble ouvrage :
Ce dont il nous plaît le moins voir
La reproduction complète,
C'est nous-même, quand le miroir
Trop fidèlement nous reflète..
Varia
Poème posté le 22/09/23
par Rickways