Moi ?... Je lis
par Jules CANONGE
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POUR L'ALBUM DE Mme***
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— Pourquoi, si longtemps, rester loin de nous ?
— Moi ?... je lis. — Madame, à qui ferez-vous
Accepter ce fait comme vraisemblable ?
A moi, car toujours dans ce qu'on me dit
Je crois ce qu'atteste un sourire aimable,
Pourvu qu'on soit belle et qu'avec esprit
On sache en histoire habiller la fable.
Mais ceux qui vous voient sans cesse changer,
Et, dans votre essor que chacun envie,
D'un vol si brillant, si vif, si léger,
Comme un météore effleurer la vie,
Ceux-là pourront-ils croire qu'il suffit
De quelques feuillets rassemblés en livre,
Pour rendre soudain fixe votre esprit,
Comme un papillon qu'une fleur enivre?
Ah ! vivez, Madame, et ne lisez pas !
Pourtant, si l'étude a de tels appas,
Lorsqu'une polka déroule ses phases,
Lisez, méditez ces riantes phrases,
Que, sur un parquet, écrivent des pas.
Comme un passe-temps qu'on peut se permettre,
Parcourez encor le bas d'un journal,
S'il parle théâtre, ou modes, ou bal ;
Lisez un quatrain, lisez une lettre ;
Mais n'ouvrez jamais ces livres musqués
Que fades rêveurs, poètes manques
Hérissent de vers, inondent de prose,
Ces livres, qu'on voit, dans tous les salons,
Traîner, sans lecteurs, sur les guéridons
Et dont l'aspect seul peut rendre morose.
Pourquoi, je vous prie, un livre ? à quoi bon?
Après l'avoir lu, Madame, aura-t-on
Le front plus riant, la lèvre plus rose,
Le pied mieux cambré, le regard plus fin,
Le parler plus vif, plus de charme, enfin,
Dans ce que l'oeil voit, ou l'esprit suppose?
Au lieu de languir sur un parchemin
qui peut de vos doigts ternir le carmin
Et faner vos fleurs de gaîtô qu'on aime,
Sondez votre coeur, lisez en vous-même :
La femme est un livre, un livre complet ;
Un livre si plein de tendres mystères,
De pensers charmants, de belles chimères,
Qu'on n'a qu'à l'ouvrir, sans choix du feuillet,
Pour trouver la page ou le mot qui plaît.
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N'est-ce pas, d'ailleurs, perdre des instants
Qu'un meilleur emploi doucement réclame ?
Vous me répondrez que, pour vous, le temps
Passe sans compter ; je le sais, Madame ;
Qu'il vous favorise ; on le sait encor ;
Mais ce fugitif que rien ne rappelle,
Ne l'oubliez pas, emporte un trésor
Dont on pleure, un jour, la moindre parcelle.
Donc, pour notre charme et votre bonheur,
Pour garder longtemps vos droits de conquêtes,
Laissez l'écriture aux laides coquettes,
Laissez la lecture aux belles sans cœur.
Varia
Poème posté le 22/09/23
par Rickways