A une effrayée
par Jules CANONGE
Notre embarras près de vous est extrême :
Loyalement, d'amitié l'on vous aime,
Chacun le sait, et, pourtant, avec nous
Vous ne montrez qu'alarmes et courroux ;
Vous détournez le sens de nos paroles ;
Nos actions, selon vous, sont des rôles :
Un geste, un mot, le moindre frôlement
Vous trouble et laisse un long tressaillement ;
En un théâtre, au bal ou dans la rue,
Si, du sourire, en passant l'on salue,
Vous vous croyez compromise, perdue !
Si, n'ayant pas bien sondé votre esprit,
A vos talents on croit et vous dédie
Un poétique et bienveillant écrit,
Votre fierté s'exalte et se récrie ;
Analysant vos traits si le regard,
Comme on ferait d'une ancienne peinture,
Signale un point où le rêve de l'art
Se réalise en vous et, par hasard,
Se laisse voir conforme à la nature,
Votre pudeur s'effarouche, murmure !
Regardez donc un peu votre miroir :
Rien n'autorise en vous, ô folle tête,
Ces grands effrois ni ces airs de conquête ;
Pour en sourire il suffit de vous voir.
D'ailleurs, quand même, au printemps de votre âge,
De la beauté du cœur et de l'esprit
Dieu vous eût fait le plus riche apanage,
Croyez-vous donc, Rheillane, qu'il suffit
De l'étaler pour que notre délire
A vos pieds tombe et follement soupire ?
Sachez-le bien, Madame, un sentiment
Peut se montrer vif sans être coupable ;
Qui devant tous l'exprime franchement
D'un lâche oubli ne fut jamais capable.
Le monde et Dieu jugent sévèrement
Cette vertu de soupçons hérissée,
Qui toujours crie et, sans discernement,
Partout du mal croit lire la pensée.
Que ces travers chez vous soient empruntés,
Ce n'est douteux pour moi ni pour personne;
Mais, puisqu'ils font ombre à des vérités,
Congédiez l'orgueil qui vous les donne ;
Simple et toujours intelligente et bonne,
Ne laissez voir qu'aimables qualités.
Toute amitié de prude est dangereuse ;
N'y livrons pas nos cœurs et nos esprits ;
En vérité, frère, je vous le dis,
Si nous voulons une existence heureuse,
Plus que le feu, plus que la mer houleuse,
Craignons, fuyons la prude vaniteuse !
Varia
Poème posté le 25/09/23
par Rickways