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Poésie d'hier / Dame, merci! Une rien vos demant
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Dame, merci! Une rien vos demant
par Thibaut de CHAMPAGNE


Dame, merci ! Une riens vos demant, Dites m’en voir, se Deus vous beneïe : Quant vous morrez et je — mès c’iert avant, Car après vous ne vivroie je mie —, Que devendra Amors, cele esbahie, Que tant avez sens, valor, et j’aim tant Que je croi bien qu’après nous ert faillie ? Par Dieu, Thiebaut, selonc mon escïent Amors n’iert ja pour nule mort perie, Ne je ne sai se vous m’alez guilant, Que trop megres n’estes oncore mie. Quant nos morrons (Deus nos dont bone vie !), Bien croi qu’Amors damage i avra grant, Mès toz jorz ert valors d'amor conplie. Dame, certes ne devez pas cuidier, Mès bien savoir que trop vous ai amee. De la joie m’en aim melz et tieng chier Et pour ce ai ma graisse recouvree Qu’ainz Deus ne fist se tres bele riens nee Com vos, mès ce me fet trop esmaier, Quant nos morrons, qu’Amors sera finee. Thiebaut, tesiez ! Nus ne doit conmencier Reson qui soit de touz droiz desevree. Vous le dites por moi amoloier Encontre vous, que tant avez guilee. Je ne di pas, certes, que je vos hee, Mès, se d’Amors me couvenoit jugier, Ele seroit servie et honoree. Dame, Deus doint que vos jugiez a droit Et conoissiez les maus qui me font plaindre, Que je sai bien, quels li jugemenz soit, Se je i muir, Amors couvient a faindre, Se vous, dame, ne la fetes remaindre Dedenz son lieu arriers ou ele estoit ; Q’a vostre sens ne porroit nus ataindre. Thiebaut, s’Amors vous fet pour moi destraindre, Ne vous griet pas, que, s’amer m’estouvoit, J’ai bien un cuer qui ne se savroit faindre. $$$$$$$$$$ Dame, de grâce ! Je ne vous demande qu’une chose, Dites-moi la vérité, Dieu vous bénisse : Quand vous mourrez et moi aussi – mais je partirai avant, Car après vous je ne pourrai plus vivre – Que deviendra Amour, alors tout éperdu ? Car vous avez tant de raison et de vertu, et je vous aime tant Que je crois bien qu’après nous, l’amour disparaîtra. Par Dieu, Thibaut, selon moi, Amour n’a jamais péri pour quelque mort qui soit, Je ne sais pas, non plus, si vous êtes en train de vous moquer de moi. Car je ne vous vois pas encore si maigre que cela (syn : malportant). Quand nous mourrons – que Dieu nous donne longue vie ! – Je suis sûre qu’Amour en aura grand peine, Mais sa valeur restera toujours aussi entière et parfaite. Dame, certes, vous ne devez pas croire, Mais bien être certaine que je vous aime trop. Et cette joie (amour) même, fait que je m’aime et m’estime davantage, Et voilà pourquoi je me suis engraissé à nouveau ; Car Dieu ne fit jamais naître chose si belle Que vous ; mais cela me donne trop d’émoi à l’idée Que quand nous mourrons, l’Amour viendra aussi à sa fin. Taisez-vous Thibaut ! Nul ne doit se lancer Dans un propos qui soit dénué de toute légitimité, Vous dites tout cela pour m’attendrir À votre endroit, après m’avoir tant trompée (raillée). Je ne dis pas, certes, que je vous hais, Mais si je devais prononcer un jugement par Amour, Je ferais en sorte que ce dernier en soit servi et honoré. Dame, Dieu fasse que votre jugement soit juste et que vous connaissiez les maux dont je me plains. Puisque je sais bien que quel que soit le jugement, Si j’en meurs, l’Amour en sera affecté, À moins que vous, dame, ne le fassiez revenir Dans le lieu où il se tenait auparavant, Car nul autre ne pourra, en cela, atteindre votre sagesse (habilité). Thibaut, si Amour vous fait tourmenter pour moi, N’en éprouvez pas trop de peine, car s’il me fallait aimer, J’ai bien un cœur qui ne saurait le dissimuler (mon cœur ne reculerait pas).

Traduction : Frédéric Effe

Poème posté le 06/11/23 par Jim

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