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Poésie d'hier / L'exil
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L'exil
par Léon-Paul FARGUE


Une nymphe s’est retournée Dans le sel rouge de l’automne. Une chrysalide a brillé Dans l’échaudé de la fumée. Une ville ! Une ville encore, Qui regarde à travers sa toile, Avec ses portraits de résine, Le fourmilier mangeur d’étoiles Qui lutte pour la fin du miel Avec la phalène de fer Qui pousse son soc dans le ciel. Le feu tinte dans la cuisine. L’homme fait rire sa poupée. Le phare s’étire dans l’ombre Qui prend le large comme un pauvre. Jadis je me suis arrêté Vers le soir, en plein cœur d’été, Sous une porte sans vantail Où l’on buvait des cours profondes Aux pas pressés, aux têtes fausses, Des boutiques à l’air sauvage, Des objets vénéneux et vagues Que je tremblais de me nommer. Un soir, je me suis arrêté Devant la porte condamnée Où l’on entend de la musique. Mon cœur battait. J’avais sauté Dans le retrait, dans le détour Où brille un secret mal couvert. Mais au bout d'un couloir j'ai vu L’ombre, assise en tailleur, attendre Sous l’aisselle d’une araignée. Le long du couloir encrassé Par un ébroûment de corbeaux, Dans une gare de ceinture, Au coup de tambour de la porte Rebattue et questionnée Par l’œuf pourri de la fumée, Sous l’œil gradué des balances Qui reflète le cimetière Où la marchande de journaux Pleure son fils dans son fichu, Le long de la douleur j'ai bu Le souffle cave des trains pauvres Qui dorment en changeant de mouches Dans la fosse pleine de graisse Où la nuit bougonne en gouttant. Comme eux, je roule mon calvaire, Comme eux, je gagne la chapelle Entre des files de malades. Je fais comme les camarades. Reviens. Sauve ton pauvre enfant Qui pleure par tes yeux absents. Parle-moi du fond de l’étang Ou du faite du ciel s'il est Construit des restes de la terre. Je suis petit. Tu es si grand. C’est fait. J’adopte tes idées. Je reconnais que ma misère Venait des désirs que j'avais. Tu vois, je suis calme et j'espère. Fais-moi quitter mon corps visible. J’escaladerai les échelles Des épreuves et des blessures, Je traverserai les systèmes, Incube de tous les soleils, Goutte de feu, goutte de boue, Dans ma soif de te reconnaitre. Sans toi, sans ta douceur sévère, Ma vie est le rêve d'un rêve Hanté de fantômes trop tendres. Dans la ville qui se rend sourde Comme un fruit plein de perce-oreilles, Devant le mur où je regarde, Tableau de concours de la mort, Sous le battoir de la parole, Dans le ramage de l’esprit, Dans la bauge où je déshabille L’algue et la marne de l’amour, Dans le battement où me plonge Le coup de canon de la mer Que je reçois comme un message Sur l’égarement de mon cœur, J’ai besoin de ton injustice. Je suis, sans toi, je suis, sans elle Comme un cadavre d’inconnu Les cheveux trempés de sueur Collés sur un front bleu de plomb Tombé sur la terre étrangère Au milieu d'un rassemblement Qui ne comprend pas son visage.

In BANALITE, 1928

Poème posté le 07/05/24 par Rickways



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