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Poésie d'hier / Première Géorgique – extrait 2
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Première Géorgique – extrait 2
par VIRGILE


Vois-tu ce laboureur, constant dans ces travaux, Traverser ses sillons par des silons nouveaux : Ecraser, sous le poids des longs râteaux qu'il traîne. Les glèbes dont le soc a hérissé la plaine, Gourmander sans relâche un terrain paresseux ? Cérès à ses travaux sourit du haut des cieux. J'aime des hivers secs et des étés humides : L'été des sillons frais, l'hiver des champs arides, Sont un garant certain de la fertilité : C'est alors que, surpris de leur fécondité, Et le riche Gargare, et l'heureuse Mysie, Enfantent ces moissons qui nourrissent l'Asie. Au maître des saisons adresse donc tes vœux. Mais l'art du laboureur peut tout après les dieux. Dans les champs la semence est-elle déposée, Il la couvre à l'instant sous la glèbe écrasée ; Puis d'un fleuve, coupé par des nombreux canaux, Court dans chaque sillon distribuer les eaux. Si le soleil brûlant flétrit l'herbe mourante, Aussitôt je le vois par une douce pente Amener, du sommet d'un rocher sourcilleux, Un docile ruisseau, qui sur un lit pierreux Tombe, écume, et, roulant avec un doux murmure, Des champs désaltérés ranime la verdure. Tantôt, pour empêcher qu'un frêle chalumeau Ne languisse accablé sous un riche fardeau, Dès qu'il voit du sillon sortir ses blés superbes, Il livre à ses troupeaux le vain luxe des herbes. Tantôt son bras actif, desséchant des marais, De leurs dormantes eaux délivre les guérets ; Surtout lorsque, gonflant ses ondes orageuses, Un fleuve a submergé les campagnes fangeuses, Et que du noir limon dont les champs sont couverts L'exhalaison impure empoisonne les airs. Mais, malgré tant de soin, malheureux que nous sommes ! Malgré les animaux qui secondent les hommes, Tout n'est pas fait encor ; crains pour tes jeunes blés L'ombre, et l'herbe indomptable, et les brigands ailés. Tel est l'arrêt fatal du maître du tonnerre : Lui-même il força l'homme à cultiver la terre ; Et, n'accordant ses fruits qu'à nos soins vigilants, Voulut que l'indigence éveillât les talents. Avant lui, point d'enclos, de bornes, de partage ; La terre était de tous le commun héritage ; Et, sans qu'on l'arrachât, prodigue de son bien, La terre donnait plus à qui n'exigeait rien. C'est lui qui, proscrivant une oisive opulence, Partout de son empire exila l'indolence. Il endurcit la terre, il souleva les mers, Nous déroba le feu, troubla la paix des airs, Empoisonna la dent des vipères livides, Contre l'agneau craintif arma les loups avides, Dépouilla de leur miel les riches abrisseaux, Et du vin dans les champs fit tarir les ruisseaux. Enfin l'art à pas lent vint adoucir nos peines ; Le caillou rend le feu recelé dans ses veines ; La terre obéissante et les flots étonnés Par la rame et le soc déjà sont sillonnés ; Déjà le nocher nomme et compte les étoiles ; Des chiens lancent un cerf, le chasseur tend ses toiles ; La glu trompe l'oiseau ; le crédule poisson Tombe dans des filets, ou pend à l'hameçon. Bientôt le fer rougit dans la fournaise ardente ; J'entends crier la dent de la lime mordante ; L'acier coupe le bois que déchiraient les coins. Tout cède aux longs travaux et surtout aux besoins. Quand Dodone aux mortels refusa leur pâture, Cérès vint des guérets leur montrer la culture. De ces nouveaux bienfaits sont nés des soins nouveaux : La rouille vient ronger le fruit de nos travaux ; La ronce naît en foule, et les épis périssent ; D'arbustes épineux les sillons se hérissent ; Et Cérès, à côté de ses plus riches dons, Voit triompher l'ivraie, et régner les chardons. Tourmente donc la terre, appelle donc la pluie, Chasse l'avide oiseau, détruis l'ombre ennemie ; Ou, bientôt, affamé près d'un riche voisin, Retourne au gland des bois pour assouvir ta faim. Mais les moments sont chers ; hâte-toi de connaître Ce qui doit composer ton arsenal champêtre. D'abord on forge un soc ; on taille des traîneaux ; De leurs ongles de fer on arme des râteaux ; On entrelace en claie un arbuste docile ; Le van chasse des grains une paille inutile ; Le madrier pesant te sert à les fouler ; Et des chars au besoin seront prêts à rouler ; Sans tous ces instruments, il n'est point de culture. (…) Il est mille autres soins consacrés par nos pères ; Ne dédaigne donc pas ces préceptes vulgaires. (…) Prévoyant les besoins de la triste vieillesse, La fourmi diligente y butine sans cesse ; Le charançon dévore un vaste amas de grains ; Et le mulot remplit ses greniers souterrains. (…) Des légumes souvent l'enveloppe infidèle Déguise la maigreur des fruits qu'elle recèle. (…) Les grains les plus heureux, malgré tous ces apprêts, Dégénèrent enfin, si l'homme avec prudence Tous les ans ne choisit la plus belle semence. Tel est l'arrêt du sort : tout marche à son déclin. Je crois voir un nocher, qui, la rame à la main, Lutte contre les flots, et les fend avec peine ; Suspend-il ses efforts ? L'onde roule et l'entraîne. (...)

Géorgiques - Folio classique - Gallimard 1997
Traduction : Jacques Delille


Poème posté le 24/09/24 par Jim


 Poète
VIRGILE



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