In Principio Erat Verbum
par Paul CLAUDEL
L’Océan, comme la Vallée en mouvement de la Mort parcouru par les suçoirs des
trombes,
A vu jadis cet homme qui portait le Christ et qui avait le nom de la Colombe,
Quand il tirait à coup de canon sur les noires colonnes d’eau qui le pressaient
comme des géants,
Et pacifiait la Création déchaînée en lui faisant du haut de la poupe lecture de
l’Evangile de Saint Jean.
Et plus tard pour les navigateurs qui revenaient de Mozambique et de Timor,
Le fait, au-dessus des vapeurs de la cuisine, et des armes qu’on astique, et des
faibles conversations du bord,
Etait le craquement d’une poulie ou de l’autre là-haut, toutes voiles
travaillantes dans le grand souffle régulier
Jour et nuit qui du Pôle jusqu’à la Ligne prend toute la largeur de la Mer,
Moi de même aujourd’hui je suis là, et pendant que la plume à la main je
transforme les sacs de sucre et de café en milreis et que je dépouille la Bible,
Je lève de temps en temps la tête et j’écoute, et dans les palmes j’entends le
même souffle irrésistible,
Celui, le même, qui jadis précéda le sommeil de l’Auteur du genre humain dans le
Paradis,
Avant qu’Eve lui fût tirée du flanc sous les ombrages de l’Arbre de la Vie.
Pendant que je dors, ou que je marche, ou que j’écris, la Mer ne cesse pas
d’être à mon côté,
Et je ne puis rejoindre la Patrie là-bas de nouveau sans que j’aie à la
traverser;
Là où la terre n’existe plus, là d’où vient ce mouvement sur la forêt,
D’une rive du monde jusqu’à l’autre il n’y a de chemin pour moi qu’à travers la
Paix,
Cette Paix que le vent sans jamais en émouvoir la source ne cesse d’interroger
avec mystère ou avec furie!
Sur les choses qu’il a créées ne cesse pas l’interrogation de l’Esprit.
La mer des hommes et des feuilles, il ne cesse de la brasser et de la remuer, la
mer des peuples et des eaux!
C’est de lui qu’il est écrit: J’ai cherché en toutes choses le repos.
Et pourtant ce souffle impatient du monde il y a quelqu’un qui a su
l’emprisonner.
Il a suffi naïvement pour le prendre de cette Vierge qui lui dit: Mon bien-aimé!
Un enfant dort sur son sein et la joue contre sa joue.
«Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous»
Rio de Janeiro, Mai-Décembre 1917
"La Messe Là-Bas"
Poème posté le 20/10/24
par Messaisons