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Poésie d'hier / La Cigogne
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La Cigogne
par Sandor PETOFI


Il est mille sortes d’oiseaux : l’un chérit celui-là, Tel autre celui-ci, L’un c’est son beau ramage, l’autre c’est son plumage Bariolé qui le séduit. Celui que j’ai choisi, à l’art de la chanson Pour un oiseau, n’est pas rompu. Comme moi, il est simple, …moitié de noir, Moitié de blanc vêtu.   Car, parmi tous les autres, celui que je préfère, Moi, mon oiseau, c’est la cigogne, Habitante fidèle de ma douce terre natale, De ma plaine hongroise si chère. Il se peut que je l’aime à ce point pour avoir Grandi à ses côtés ; Qu’elle venait, quand je pleurais dans mon berceau, Au-dessus de moi caqueter.   J’ai passé avec elle les années de l’enfance. Sérieux petit garçon, Tandis que mes camarades poussaient, dans le soir, Les vaches vers la maison : Moi, dans nos cours, au bord des coupoles d’épines Je m’approchais, Et quand les cigogneaux s’essayaient à voler, Les contemplais, muet.   Je méditais. Une question dans mon cerveau Ne cessait de rouler : Pourquoi l’homme n’est-il pas, à l’instar de l’oiseau, Une créature ailée ? Nos pas ne savent arpenter que la distance Et la hauteur jamais ; Mais en quoi donc me touche-t-elle, la distance ? La hauteur est mon fait.   Je désirais monter. Ah, comme j’enviais Le soleil de son sort, Qui, au front de la terre, tissé de sa lumière, Dépose un chapeau d’or. Que je souffrais le soir de le voir transpercé, Le sang dégouttant de son sein ; Je pensais : c’est ainsi ? Celui qui nous éclaire C’est donc là le gain qu’il obtient ? — —   L’automne est la saison que les enfants désirent, Leur mère n’est sortie Que pour charger à l’intention de ses gamins Des paniers pleins de fruits. L’automne était mon ennemi, je lui disais, Quand il m’offrait ses fruits : Garde tes dons, toi qui déroutes la cigogne, Mon oiseau favori.   Le cœur meurtri je les voyais se rassembler, S’éloigner dans les cieux ; De même qu’aujourd’hui ma jeunesse qui fuit Je les suivais des yeux ; Et quel triste spectacle, ces nids vides en nombre Sur le toit des masures. La brise me soufflait, sourde prédiction, De regarder vers le futur.   Lorsque, l’hiver passé, la terre dévêtait Sa pelisse enneigée, Et passait à sa place un dolman d’un vert sombre Aux coutures florées ; Alors, de vêtements de fête et d’habits neufs, Mon âme elle aussi s’habillait, Pour attendre les cigognes, jusqu’à la frontière voisine Quelquefois je déambulais. —   Plus tard, quand l’étincelle fut devenue flamme Et jeune homme l’enfant : La terre brûlait sous mes talons, je m’élançais Et surgissais sur un pur-sang, Les rênes relâchées je galopais En direction de la puszta… À son tour, le vent s’emballait Pour rattraper mon étalon.   J’aime la puszta ! Là, je me sens Libre, vraiment ; Là, mes yeux vont où bon leur semble Sans nul empêchement, Les rocs ne font pas cercle autour de moi, moroses Fantômes chargés de menaces. Secouant en tout sens les sonores ruisseaux Comme des chaînes que l’on brasse.   Et que nul ne dise que la puszta n’est pas belle ! Car elle a sa beauté, Mais comme la pudique vierge son visage, Un voile épais vient l’abriter ; Devant ses familiers, devant ses bons amis Elle daigne l’ôter, Et sur elle l’œil charmé se pose avec pureté, car Il découvre une fée.   J’aime la puszta ! Cent fois, je m’y aventurais Sur mon coursier ardent, J’allais où nul humain n’a laissé trace de pas Même pour de l’argent : Descendant de cheval, je m’allongeais dans l’herbe. Un bref coup d’œil, et qui Apercevais-je sur le lac à mes côtés ? Cigogne, mon amie.   Elle m’avait escorté au fond de la puszta Où, ensemble rêvions, Contemplant longuement, elle, le fond des eaux, Moi, la fée des illusions. Ainsi passé-je avec elle le plus clair de l’enfance, De la jeunesse, et c’est pourquoi Je la chéris, malgré son plumage sans éclat, Malgré son peu de voix.   Aujourd’hui encore je la chéris et considère Cet oiseau, la cigogne, Comme le seul réel qui me reste d’une ère Plus belle, traversée en songe. Et aujourd’hui encore, chaque année, j’attends Que tu reviennes, Quand tu t’éloignes, je te souhaite un bon voyage, O mon amie la plus ancienne !

Szalonta, 1-10 juin 1847
Traducteur : Guillaume Métayer


Poème posté le 14/11/24 par Jim



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