Calme, un brin timide, débonnaire
Derrière sa barbe le bibliothécaire
De tant d’indifférence se désole.
A ce gourmet de littérature,
Goûtant les nouveautés,
Savourant ses classiques,
Lui ce croquant de BDs et d’encyclopédies,
Cet insatiable dévoreur de policiers,
Pour conserver sa bonne mine
Voudrait qu’on lui cuisine
Contre un sourire, un conseil, des mots doux
Des lettres salées d’embruns lointains
Des textes fins qui lui tournent la tête,
Des poèmes qui chantent l’amour par-dessus les toits
Il voudrait qu’on lui fredonne des histoires terrifiantes
Et des amusantes qui lui fassent pétiller les yeux
Et secouer son bedon naissant.
Mais voilà ses lecteurs sont aveugles
Comme le passant ignorant la main tendue du mendiant.
- Voilà ce qui me révolte,
C’est dit, je sors mon colt !
Le premier qui moufte, menace le spécialiste des livres,
Je lui récite pour l’éternité le bottin de la Seine
Avec les pages blanches et les jaunes
Et dans un vent de terreur,
Les lecteurs suant de peur
Se mettent sur le champ à l’œuvre.
Une jeune enfant sifflant son abécédaire avec hésitation,
Un vieux militaire un peu gâteux d’en avoir trop vu,
Un professeur sans âge
Et une grand-mère hors d’âge.
Qui d’une fable sans queue ni tête,
Qui d’un roman à l’eau de vie prétendant que les roses le font éternuer
Qui d’un traité sur les grandes manœuvres car le colonel vomit les frivolités
Qui de ses souvenirs échappés d’une mémoire défaillante,
Ils y mettent une telle farouche ardeur
Que le bibliothécaire les bras en croix sur son ventre
Verse une larme d’enfant satisfait.
A J.F.G