Histoire de temps
par Ecrivain en herbe
Dans un salon en clair-obscur,
Un petit coucou suisse accroché au mur,
Apostrophait la grande comtoise en face de lui
Qui, croyait-il, se mourait d’ennui.
« Eh, ma grande, dit -il, tu es de bien morne humeur,
Je viens, à grand renfort de voix, de sonner les vingt heures
Et toi, tu ne bouges pas, aucun carillon.
Personne n’entends jamais ta voix de baryton.
N’entends-tu pas la famille qui rentre de sa journée,
Avec dans leurs voix, une joie non dissimulée ?
Cà ne te donne pas envie aussi, toi, de chanter
Et de par tes notes les accompagner ?
Mon coucou s’il le pouvait irait voler jusqu’à eux,
Pour qu’ils voient l’importance qu’ils ont à mes yeux ;
Mais ne le pouvant pas, je fais sortir ma farandole
De petits personnages, en pantalons, robes et étoles.
Les enfants attendent le petit cliquetis
Que fait toute ma machinerie
Lorsque le moment tant attendu est arrivé
De voir tout mon petit monde défiler.
Et là, lorsque le temps d’un instant, je sors de mon trou
Et pousse mon petit cri, le célèbre cou-cou,
Je vois ma petite assemblée qui me sourit
Et ce moment magique n’a pas de prix. »
« Petit, dit la comtoise, tu vis de bien beaux moments,
Qu’autrefois j’ai aussi vécu avec engouement ;
Tu sais, je suis maintenant bien vieille,
Et comme toi, j’ai vu bien des merveilles.
Mais mon cœur est désormais fatigué
De voir les heures et minutes s’égrainer ;
Du haut de ma grande taille, mon âme
Est dorénavant celle d’une très vieille dame.
Ne crois pas, petit, que je fus toujours si inerte,
Jadis, de ce salon, fenêtres grandes ouvertes,
Jaillissait le son de ma voix basse chaque quart d’heure
Le temps de montrer au monde que j’étais des leurs.
De mon jeune temps, la cheminée crépitait,
Et les membres de la famille, autour de moi s’affairaient,
Me regardaient, passaient devant moi, me touchaient,
Comme si j’étais une personne qu’ils aimaient.
Le monde n’était alors pas si pressé,
On prenait le temps de le déguster ;
On admirait la chaleur de mon bois verni
Et la notion de temps qui s’écoule n’était pas un souci.
Mon lourd balancier promenait sa patine
Dans ce corset que les humains appellent vitrine ;
Je dispensais les secondes, les minutes et les heures,
Car telles étaient les conditions de mon labeur.
Mais, tout cela, à tous, paraissait accessoire,
Car, rentrant des champs sur le tard,
La famille n’aspirait qu’une chose :
Se détendre devant un bon feu et avoir paupières closes.
Je n’étais utile que pour bercer leurs rêves
Car en ce temps là, le coq sortant de sa réserve,
Se chargeait, dès les premiers rayons, de donner le la,
Bien avant que je ne le fasse moi.
Tu vois, petit coucou, fringant et travailleur,
Tu assures à présent la relève ; A toi de fabriquer les heures
Qui aujourd’hui, trouvent toute leur importance
Dans ce monde toujours en effervescence.
Sois le plus précis possible lorsque tu chanteras,
Car le bus, le train et le patron n’attendent pas ;
Je te laisse volontiers ma place, j’ai fait mon temps
Et je te souhaite de rester à leur service très longtemps.
Je demeurerai pour ce qui me reste à vivre
Un héritage, un bel objet à regarder comme un livre,
Mais mes aiguilles à jamais garderont leur immobilité,
Et au vu de mon grand âge, j’espère pour l’éternité. »
Poème posté le 13/04/17