C’est un cours d’eau sauvage, offert au tout-venant,
Et dont on s’approprie la course entre les pierres.
Il est né dans les ruines d’un moulin à vent,
Se forgeant dans l’ennui et les pousses du lierre.
Quand les pluies de l’hiver le rendent plus loquace,
Qu’il se met à chanter au chevet de mes pas,
Je ne puis me résoudre aux empreintes fugaces
D’une course sans fin que l’oubli balaiera.
Et je m’arrête alors… Puis, dispersant la brume
Déposée sur sa peau en écharpe de soie,
Je m’invite en son chœur, amplifiant son volume
De mes deux mains transies par les gammes du froid.
Je me souviens… C’est ici qu’il buvait les peines
De ces amours d’enfant que l’on voyait trop grands.
« Pourquoi m’a-t-elle blessé ? C’est si dur, Capitaine !»
Lui disais-je souvent, du haut de mes douze ans…
Je me souviens aussi tous les radeaux précaires
Qui faisaient la fierté d’apprentis flibustiers
Bâtis tôt le matin, dézingués en soirée,
Quand pointait le clairon de l’appel de la mère.
Je me souviens enfin que j’y ai embrassé,
Un jour où l’amour file sous les arbres en fleurs
Les lèvres d’une femme,en charnelle pensée
« C’est si doux, Capitaine ! Serait-ce enfin mon heure ? »