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Jim
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Messages : 3941


Posté à 01h07 le 09 Jan 13

Tout est basé sur la respiration. Lorsque nous parlons, nous émettons un certain nombre de syllabes entre deux reprises de souffle. Assez peu, de l’ordre de trois ou quatre. Apparaît donc une mesure entre ces deux reprises qui la délimitent. Nous les marquons par des accents toniques. La mesure est donc la durée entre deux accents toniques, une durée quasi fixe liée à notre temps d’énonciation. Chaque reprise de souffle nécessitant une durée, il en résulte que chaque accent tonique est suivi d’une pause. Cette pause marque une coupe dans l’énonciation. Une pause un peu plus longue est dite césure. Sous l’effet de l’émotion, le nombre de syllabes contenu dans une mesure peut varier, le débit s’accélère ou ralentit : c’est le rythme. Il en résulte la scansion du vers ou de la phrase.
Les syllabes sont valuées par les voyelles, sauf par le « e » en fin de mot, souvent dit muet. Il existe pourtant, et se manifeste, d’une part en permettant l’expression de la consonne le précédant sur laquelle il s’appuie, d’autre part en occupant toute sa durée propre, laquelle agit comme un silence. Il apporte donc un calme, un apaisement, dans le flot des syllabes. De son mutisme résulte que, suivi d’une voyelle, il s’efface pour laisser entendre celle-ci :
rouge arboré s’entend roujarboré.
Le vers, lequel est initialement destiné au chant, se fonde uniquement sur ces contraintes rythmiques, quel que soit son mètre (longueur du vers compté en nombre de syllabes).
On dispose donc de mesures de base de trois ou quatre syllabes, lesquelles permettent de construire des vers d’un mètre quelconque voulu ; ainsi, avec toutes les commutations possibles :

1 = pas de vers avec ce mètre, sauf pour jouer, peut intervenir dans un vers, par exemple comme interjection
2 = une « demi mesure » : même chose que précédemment
3 = une mesure entière, mais rarement suffisante pour composer un vers : même chose que précédemment
4 = une mesure entière, mais rarement suffisante pour composer un vers : même chose que précédemment
2 + 3 = pentasyllabe, du fait la « demi-mesure », ce mètre est assez lourd, il a le souffle court. Dans tout vers de mètre supérieur, où il pourrait intervenir, on lui préférera de ce fait une combinaison de mesures l’évitant
3 + 3 = hexasyllabe
4 + 3 = heptasyllabe
4 + 4 = octosyllabe
3 + 3 +3 = énéasyllabe
4 + 3 + 3 = décasyllabe
3 + 4 + 4 = endécasyllabe
3 + 3 + 3 + 3 = 4 + 4 +4 = dodécasyllabe
3 + 3 + 3 + 4 = 13-syllabe
3 + 3 + 4 + 4 = do heptasyllabe
3 + 4 + 4 + 4 = 3 + 3 + 3 + 3 + 3 = 15-syllabe
4 + 4 + 4 + 4 = 3 + 3 + 3 + 3 + 4 = do octosyllabe

On peut continuer aussi longtemps que cela nous plait. Les possibilités de choix rythmique s’accroissent, au scripteur de montrer son habileté.

Puis vint la volonté de formaliser… Volonté de réduire la croissance de cette complexité ? Ne pas s’aventurer au-delà du dodécasyllabe, et de lui ne retenir que l’architecture fondée sur la mesure 3 impliquant que la coupe en son milieu devienne césure définissant deux hémistiches de mètre six. Cela dit, en chaque hémistiche, la mobilité de l’accent tonique n’est pas censurée, ce qui laisse un peu de fantaisie. Hugo, mais il me semble Lamartine avant lui, rompra avec ce diktat, donnant ainsi naissance à l’alexandrin romantique qui porte son nom.

Avant d’aller plus loin, notons :
x = syllabe
X = accent tonique (soulignés)
_ = silence
/ = coupe
// = césure
/…/ = mesure

Examinons quelques cas de dodécasyllabes.

Dodécasyllabe
Vois dans quel silence me plonge ton départ (1/4/3/4)
X / x x x X / _ x X / _ x x X
Alexandrin
Vois en quel désarroi me plonge ton départ (1/5//2/4)
X / x x x x X // x X / _ x x X
Alexandrin
Ce temple calme et [i]beau
gne la Pythie (2/4//2/4)
x X / x x x X // x X / _ x x X
Alexandrin
J’ai vu en tes beaux yeux les nuages passer (2/4//3/3)
x X / x x x X // x x X / _ x X

Alexandrin romantique (hugolien ou « trimètre »)
Tu m’as lais en ce désert sans oasis (4/4/4)
x x x X / x x x X / x x x X

De la douceur, de la douceur, de la douceur (4/4/4)
x x x X / x x x X / x x x X

Mais le choix entre alexandrin classique ou romantique est parfois ambigu. Empruntons à Verlaine et Baudelaire :

Je fais souvent, ce rêve étrange et pénétrant (4/4/4)
x x x X / x x x X / x x x X
Qu’on pourrait lire
Je fais souvent, ce ve étrange et pénétrant (4/2//2/4)
x x x X / x X // x X / x x x X

Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a (4/2//2/2/2)
x x x X / x X // x X / x X / x X
Qu’on pourrait lire
Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a (4/4/4)
x x x X / x x x X / x x x X

Entend, ma chère, entend la longue nuit qui marche. (2/2/2//2/2/2)
x X / x X / x X // x X / _ x / x X
Qu’on pourrait lire
Entend, ma chère, entend la longue nuit qui marche. (4/4/4)
x x x X / x x x X / _ x x X

Outre la scansion introduite par les accents toniques, et les effets de rythme dus au nombre de syllabes par mesure, il importe de remarquer l’influence des pauses attachées aux coupes « / », aux césures « // », aux silences « _ », et à la façon avec laquelle ceux-ci s’enchaînent. C’est cela qui rend les deux derniers vers cités de Verlaine et Baudelaire si remarquables, en particulier cet effet d’étirement renforcé lié à la coupe enjambante « /_ » dans celui de Baudelaire (le plus beau de la langue française d’après Valéry).[/i]


Salus
Membre
Messages : 6938


Posté à 17h31 le 08 Oct 20

Superbe travail,
il y aurait beaucoup à dire...

- C'est en tout cas
De main de maître !
(Demain le mètre
Sera fracas ?)


Jim
Membre
Messages : 3941


Posté à 22h10 le 08 Oct 20

Je m'étais bien amusé...
Le rythme et l'harmonie, surgissent des nombres, Pythagore le savait déjà...
Conclusion : le vers est une application de la théorie de la mesure (métronomie = mesure de la marche).

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