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Posté à 14h58 le 25 Feb 21
Par Monique Petillon (Collaboratrice du « Monde des livres
Né en Suisse mais Drômois depuis les années 1950, l’écrivain, récompensé par le Goncourt de la poésie en 2003 et entré dans « La Pléiade » en 2014, est décédé le 24 février, à l’âge de 95 ans.
Une solitude très entourée, et non un ermitage : c’est la vie qu’avait choisie Philippe Jaccottet, qui est mort le 24 février, à Grignan (Drôme), à l’âge de 95 ans. Il était l’un de nos très grands poètes, un des plus lus, étudiés et traduits dans le monde entier. Il était né le 30 juin 1925 à Moudon, en Suisse. De nombreux amis de passage sont venus dans la maison de Grignan – où il a vécu avec sa femme Anne-Marie depuis leur mariage en 1953, elle peignant, lui écrivant.
Ce qu’a été pour lui, citadin de Lausanne puis de Paris, la découverte de ce pays de pierres sèches et de chênes verts, presque méditerranéen, où il a trouvé comme une « terre natale », Jaccottet l’a dit dans les magnifiques proses de La Promenade sous les arbres (Mermod, 1957) ou de Paysages avec figures absentes (Gallimard, 1970), où il cherchait à analyser ce qui pour lui reliait l’expérience poétique à l’émotion ressentie devant le monde sensible.
« Quelques paroles jetées légères » : avec sa fluidité, sa justesse, ses incertitudes, l’œuvre de Philippe Jaccottet est une de celles qui peuvent toucher universellement. Parce que, toujours soucieuse de véracité, elle garde confiance dans la poésie – qui est, comme la musique, l’une des réponses possibles au malheur. C’est ce qu’il rappela à Soleure (Suisse), où lui fut remis le prestigieux Grand Prix Schiller, en 2010, ajoutant, après avoir évoqué un des Kindertotenlieder, de Mahler : « Rilke [1875-1926], à l’œuvre de qui je serai resté attaché toute ma vie, avait déjà déclaré il y a bien longtemps qu’il n’était plus question pour nous autres de vaincre, seulement de “surmonter”, paroles encore plus vraies maintenant. »
Une prose poétique
Proses réflexives, pages de carnets, études critiques sur la poésie, traductions ont constamment accompagné, chez Jaccottet, la création poétique. Adolescent, en Suisse, au carrefour de plusieurs cultures et de plusieurs langues, il a d’abord admiré Claudel, Ramuz et Novalis, sous l’influence de Gustave Roud. Devenu ensuite collaborateur de l’éditeur Mermod, à partir de 1946 à Paris, il a fait la connaissance de Francis Ponge, Pierre Leyris, Henri Thomas et donné des chroniques de poésie à La Nouvelle Revue française.
Lire aussi: La critique littéraire, source d’inspiration de Philippe Jaccottet
Philippe Jaccottet a consacré beaucoup de talent et d’énergie à la traduction, cette « transaction secrète ». Il a traduit et fait connaître en France toute l’œuvre de Robert Musil (1880-1942), une part considérable de celle de Rainer Maria Rilke, et établi l’édition de Friedrich Hölderlin (1770-1843) à « La Pléiade ». Il a appris l’italien en lisant son ami Giuseppe Ungaretti (1888-1970), qui a tenu à faire de lui son principal traducteur, s’est lancé dans l’étude du russe à cause de la découverte passionnée d’Ossip Mandelstam (1891-1938). Il a même traduit du grec l’Odyssée, en vers de quatorze syllabes.
Son parcours poétique, il l’a lui-même retracé dans le volume publié de son vivant dans « La Pléiade » (2014). Ces Œuvres rassemblent notes, proses et poèmes – hormis le travail de critique et de traduction. Scandé par les admirables carnets de La Semaison, l’ouvrage fait la part belle à une prose poétique proche de la rêverie, mêlant la fraîcheur de la sensation à des « demi-réflexions » qui éclairent, mais à peine, les poèmes : « Ne rien expliquer, mais prononcer juste. »
Aucune ligne de Philippe Jaccottet qui ne soit, selon l’écrivain suisse Jean Starobinski, « un chemin de clarté, quand bien même il serait parlé de la nuit et de l’ombre ». De L’Effraie (1953) et L’Ignorant (1957) à Et, néanmoins (2001) ou Ce peu de bruits (2008), se succèdent « leçons de ténèbres » et pages lumineuses. Ainsi, après Leçons et Chants d’en bas, marqués par les deuils, viennent des recueils plus sereins, A la lumière d’hiver et Pensées sous les nuages.
« Beauté : perdue comme une graine, livrée aux vents, aux orages, ne faisant nul bruit, souvent perdue, toujours détruite ; mais elle persiste à fleurir, au hasard, ici, là, nourrie par l’ombre, par la terre funèbre, accueillie par la profondeur. » Parmi les grands intercesseurs évoqués : Dante, Leopardi, Purcell, Dostoïevski pour le « rire clair et frais d’Aglaé » dans L’Idiot.
Dans cet archipel de poèmes et de proses (d’abord dissociés, puis mêlés dans un même recueil, à partir de Cahier de verdure), se distingue Airs (1967), un des recueils préférés de Philippe Jaccottet. La musicalité limpide y fait écho aux Ariettes oubliées, de Verlaine, aux sonates de Schubert, la transparence et le désir d’effacement rappellent le haïku, dont la découverte avait été, pour le poète, un éblouissement.
Toujours un peu à l’écart
Réservé et, depuis Requiem – un texte de jeunesse trop grandiloquent à ses yeux sur les otages du Vercors –, s’exprimant peu sur l’Histoire (mais cet admirateur des Récits de la Kolyma, de Chalamov – Verdier, 2003 –, était loin d’y être indifférent), Philippe Jaccottet est toujours resté un peu à l’écart, même de ses compagnons de route, les poètes de la revue L’Ephémère, Yves Bonnefoy (1923-2016) et Jacques Dupin (1927-2012). Il était capable pourtant d’amitiés profondes, comme en témoigne Truinas, le 21 avril 2001 (La Dogana, 2004), beau texte évoquant la mort d’André du Bouchet (1924-2001) et leur admiration commune pour Hölderlin.
Lire aussi (1983) : Philippe Jaccottet entre l'ombre et la lumière
Peu nostalgique de l’enfance, il en avait peut-être gardé le goût de la montagne – ressenti au passage du col de Larche. De la fraîcheur revigorante du « torrent », il aurait trouvé beau de faire un « dernier mot ». Telle la « sente » du poète japonais Bashô (XVIIe siècle), un petit chemin de terre où pousse une modeste fleur sauvage, la serratule, pouvait susciter un moment de plénitude énigmatique qu’évoquaient, accompagnées par les dessins frémissants d’Anne-Marie Jaccottet, les pages d’un petit ouvrage, Couleur de terre (Fata Morgana, 2009).
Si attentif qu’il ait été à l’infime, le regard de Philippe Jaccottet a toujours été tourné vers le plus haut. Il (nous) le confiait, dans un entretien accordé au Monde en 1983 : « Dans la poésie que je préfère, celle d’un Hölderlin, d’un Dante, d’un Hopkins, ce qui me touche profondément, c’est qu’elle est exaltante au sens propre du mot, c’est qu’il y a une espèce de coup d’aile qui vous enlève légitimement très haut. S’il existe, pour moi, une justification profonde de la poésie, c’est que finalement elle vous porte très au-dessus de vous-même. »
Philippe Jaccottet en quelques dates
30 juin 1925 Naissance à Moudon (Suisse)
1957 « La Promenade sous les arbres »
1967 « Airs »
2010 Grand Prix Schiller (le plus ancien prix littéraire suisse)
2011 « L’encre serait de l’ombre »
2014 Entrée dans « La Pléiade »
24 février 2021 Mort à Grignan (Drôme)
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Posté à 14h42 le 26 Feb 21
Puisque tu parles de l’ouvrage À la lumière de l’hiver , Pierre, voici un article qui t’intéressera :
« « A la lumière d’hiver » de Philippe Jaccottet
Philippe Jaccottet fait partie des grands noms de la poésie contemporaine. Il est l’auteur de nombreux recueils, en vers libres et en prose, où il tente de s’exprimer avec justesse et authenticité, soucieux de faire de la poésie autre chose qu’un jeu gratuit avec les mots. L’un de ses plus beaux recueils s’intitule A la lumière d’hiver.
Trois ouvrages en un
Le poète fait précéder A la lumière d’hiver de deux recueils antérieurs, respectivement intitulés Leçons et Chant d’en bas, qu’il présente comme des « livres de deuil ». Aussi la mort et le deuil apparaissent-ils comme des thèmes essentiels. Si l’horreur de la mort et la souffrance du deuil ne sont pas passées sous silence, il s’agit tout autant d’une leçon de sagesse invitant, finalement, à regarder à nouveau du côté de la vie.
Instants paisibles
J’affectionne particulièrement ce poème qui relate un instant paisible :
« Ombres calmes, buissons tremblant à peine, et les couleurs,
elles aussi, ferment les yeux. L’obscurité
lave la terre.
C’est comme si l’immense
porte peinte du jour avait tourné
sur ses gonds invisibles, et je sors dans la nuit,
je sors enfin, je passe, et le temps passe
aussi la porte sur mes pas.
Le noir n’est plus ce mur
encrassé par la suie du jour éteint,
je le franchis, c’est l’air limpide, taciturne,
j’avance enfin parmi les feuilles apaisées,
je puis enfin faire ces quelques pas, léger
comme l’ombre de l’air, […] »
Le poète est ici ouvert à l’ensemble des sensations qui s’offrent à lui, si bien que la banale promenade dans le jardin devient une expérience extraordinaire, d’une très grande sérénité. La noirceur même de la nuit n’a rien d’inquiétant ni d’écrasant. »
By Gabriel Grossi ( Littérature portes ouvertes )
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