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Les sept veaux d'or (Conte en prose poétique)
par Stapula


Sous le règne de quel roi ? un pauvre paysan, exsangue après avoir payé imposition, taille, gabelle, fouage, quatrième, éperons du roi, ceinture de la reine, tributs, chaussées et passages, offrit, à un intraitable fermier général venu le sucer, l'achever, son dernier bien : un veau gras, puissant, magnifique, tellement beau que son nouveau propriétaire ne pouvait plus s'en séparer. L'animal le suivait partout jusque dans ses tournées et voyages. Outre le cinquième de la part lui revenant après la perception de la totalité des impôts, ce fermier général, aussi doué que ses confrères pour amasser tout surplus, tout à-côté, tout profit à sa portée et ne pas redistribuer l'ensemble des rentrées au grand financier du roi, était à la tête d'une immense fortune. Le pouvoir d'un alchimiste - survivant du Moyen-Âge ? - qui aurait trouvé la pierre philosophale, lui étant rapporté, il décida de lui rendre visite, avec son veau, en charrette bâchée remplie de sacs des monnaies les plus diverses, toutes époques et tous métaux confondus, véritable trésor de pièces mélangées retraçant l'histoire, forcément décousue, de la France : denier, obole, parisis, tournois, écu, agnel, mouton, royal, chaise, angelot, mantelet, franc à cheval, franc à pied, salut d'or, petit blanc, grand blanc, pistole, bourgeois, maille, mitte, pite, pougeoise, sol, louis… Le rêve du nanti était simple : la transmutation de ce pactole en or pur, noble, précieux. Pour ne pas attirer l'attention avec sa cargaison, le fermier général se déplaça la nuit. À la clarté de la lune, la demeure du Grand Maître ès sciences occultes apparaissait, sur une butte, tel un vieux château hanté, dans le style de ceux souvent à l'honneur dans les contes pour enfants. Le raidillon d'accès négocié avec prudence pour empêcher le véhicule brinqueballant de verser, l'équipage parvint à une porte monumentale, en majeure partie dissimulée dans les lierres. La cour était pavée de grès. Des reflets de flammes vives, dans une ouverture de mur très épais, laissaient deviner l'entrée d'un souterrain. Rapidement, les sacs furent traînés dans les entrailles de la terre où un feu de forge d'enfer crépitait dans un creuset, sorte de gigantesque entonnoir en matière réfractaire,profondément enraciné dans le sol. Le matériel, inconnu du profane, entreposé dans cette sorte d'antre surnaturel, à résonance sacrée, se composait, explications fournies, et de ballons, de tubes, de flacons aux multiples liqueurs, de philtres, de poudres, de cloches, d'éprouvettes, de cornues, d'alambics, de cristallisoirs, d'agitateurs… allez savoir exactement pourquoi ! Les sacs ouverts, la monnaie sonnante et trébuchante, exhalant essentiellement une odeur entêtante de fer et de cuivre, fut vite avalée par l'avide gouffre. Après une litanie d'imprécations et de formules magiques, tirées d'un grimoire en une langue figurée incompréhensible pour le commun des mortels et prononcées par l'hôte, de jolies couleurs rouges, jaunes et vertes, expulsées du chaudron bouillonnant, s'enlaçaient, s'entrelaçaient comme des plantes grimpantes dansant, Dieu sait, quelle sarabande ! Crésus et son alter ego - Sieur veau, son compère - attendaient sur le bord du cratère que le miracle s'accomplisse. L'animal ne connaîtra jamais la réussite de l'entreprise, glissant et tombant dans la substance en fusion qui recouvrira illico presto sa misérable carcasse carbonisée d'une pellicule d'or le transformant en un éternel objet d'art et… de culte, adulé, couvé par son possédant. Le retour effectué, les richesses dont le veau, merveille des merveilles, furent vite mises en lieu sûr pour que femme, enfants, rares voisins à plusieurs lieues à la ronde n'aient connaissance de quoi que ce soit. Le pasteur en puissance retournera plusieurs fois chez celui qu'il appelait son ami l'alchimiste, taraudé par l'obsession de se constituer, avec les médailles, les cassettes de bijoux, les outils de labour et autres objets de toutes sortes, encore en sa possession, un véritable troupeau de veaux d'or, n'hésitant pas, le marché conclu, à reproduire, jusqu'à épuisement de la matière première, six fois l'accident originel, les crimes se parant, au fur et à mesure de la multiplication des chefs-d'œuvre, de la haute valeur symbolique de rites sacrificiels. Au domicile, dans le temple de l'orfèvrerie, les séances de contemplation se succédaient, sans fin, pour le nabab de la contrée qui n'avait de cesse que de se sentir, à son tour, regardé, fixé, admiré, dévoré des yeux, reconnu, adoré par son cher et calme cheptel, éclatant, éblouissant, resplendissant, ses attendrissants bovidés recevant davantage d'attentions et de petits soins de sa part que la chair de sa chair au foyer. Les amis, écartés par méfiance, se faisaient de plus en plus rares, leur nombre diminuant à une inénarrable vitesse. Le fermier général, perdant le sommeil, présentait maintenant une mine creusée et des yeux ô combien cernés ! Ses mains avaient la tremblote. Il jouait la carte du sourd ou du mal entendant dès qu'il s'agissait de questions d'argent, devenant un étranger de plus en plus méconnaissable pour sa famille et son entourage. Dans ses cauchemars, des personnages hideux le fustigeaient, l'abreuvant de fesse-mathieu, d'Harpagon, de grippe-sou, de pleure-misère, de pingre, de ladre, de grigou, de rapace, de vampire, de vautour, de requin, de bas de laine. Sa vie devenant intenable, il décida d'aller voir un prêtre exorciseur. Il fallut bien des formules et des cérémonies avant de chasser le démon de son corps possédé. En remerciement, sans rien dire à personne, un bâton de berger à la main pour se donner bonne contenance, il lèguera ses sept veaux d'or à une sainte grotte consacrée à la Vierge, pour lui sûr refuge dans sa tendre jeunesse. Un jour, retournant sur les lieux, comme appelé pour un pèlerinage, quelle fut sa surprise de constater, à la lumière d'un flambeau de paille et d'herbes sèches, que ses veaux avaient une auréole au nom, barré, de chacun des sept péchés capitaux ! La mission confiée était claire. La toute puissance divine lui proposait de se racheter en luttant non seulement contre l'avarice mais contre l'orgueil, la gourmandise, l'envie, la luxure, la colère, la paresse. Si, au cours des siècles et des siècles à venir, quelque humain, prêt à succomber à l'un de ces péchés, entendait, venant de l'au-delà, une sage voix lui intimant l'ordre de se bien conduire, qu'il se persuade que c'est l'esprit du fermier général qui veille, paisible et fraternel, sur lui et sur le monde. Le 4 juin 2006.



Poème posté le 26/09/15


 Poète
Stapula



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