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Auteurs Messages

Salus
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Messages : 6953


Posté à 15h38 le 12 Nov 17



PPPF N° 6


LE PELICAN

Poussant l’abnégation jusqu’aux délires de l'auto-mutilation, l’auteur, arrachant de son ventre béant les palpitations épistolaires, chaudes encore de ses remugles intérieurs, propose de nouveau, de facto et de profil, un épisode tourneboulant et sixième, si je compte bien, des désormais irremplaçables « PPPF »

(Petits Précis de Poétique Formelle)



Il se peut que ne soit pas de fond ;
Le néant même est plus que probable…
Je vois bien, mon idée est en sable ;
Des châteaux, c’est ce que les gens font ?

Or la forme est une chose stable ;
Et c’est ainsi que les choses vont ;
Et tous de voir, et qui rêveront,
Midi sonner sur leur propre table !

Bon appétit, ministres lecteurs,
Qui parfois sont sinistres licteurs,
Oui ! je devine, à travers ma feuille,

Silhouettes troubles et démons,
Tout ce staff noir que nous dessinons,
Que votre imagination recueille.



…Sur ce sonnet sans queue ni titre, nous attaquerons abruptement par une étude métrique :

- Plutôt étrangement, Théodore de Banville, dont le nom est plus connu que l'oeuvre, situe le vers entre une et treize syllabes - vous avez bien lu : y compris !
(Verlaine et d’autres, surtout La Tour Du Pin, que j’exècre, l’utiliseront)

Le problème n’est pas, comme toujours, d’obéir ou non à un diktat, le problème, ici, est de dépasser l’alexandrin sans tomber dans la redondance rythmique, ou le jeu, par ailleurs intéressant, qui consiste à accoler par exemple un octosyllabe avec un tétrasyllabe pour former un dodéca...

Extrait d’un impréhensible multi-syllabique en quatrains de 12, puis trois fois 15 « pieds » :


"Et de celle qui saigne ou de celui qui sème
Le reptile usage, éprouvant visage, ossuaire lent,
Qui récolte en son suaire de lin l’hymne somnolent ?
Filez deux à deux, ce linceul hideux où s’endort qui s’aime !"

(« Le spectre de l’habitude »)

Dans les vers longs qui précédent, le glissement « naturel » irait, pour ce texte, aux deux césures sur trois hémistiches : 5 / 5 / 5

Ainsi, et jusque-là, car tout se peut, l'étude des vers au-delà de treize, voire de douze « pieds » est au mieux un joli cul-de-sac…
On attend le découvreur d’un passage qui nous ouvre à l’exploration, envoyez vos suggestions au journal.


Quittant rarement la cadence harmonique classique, mais affirmant péremptoirement pouvoir dire ce qui lui chante (!) dans la forme exacte qu’il aura décidé, l’impréhensible poussera l’exercice de la syncope dans ses derniers retranchements ; exemple :



Vide rythmé


La vie, ainsi, têtue, et qui passe,
Est mienne et vôtre, et celle de tous ;
Que n’avons-nous fait de cet espace !
Ci-contre, au grand jeu, de guerre lasse,
Aurions-nous gaspillé les atouts ?

Ça compte, un an ! Ça passe tout doux,
C’est tôt lâché, déjà j’en perds trace !
Tout être lucide, au froid des trous,
Hésite, recule et s’y fracasse ;
Ce sont, sans fond ni fin, des puits fous !

Ça vient, ça prend d’une sèche toux
Ou d’un secret qui mord et tracasse,
Des anges âgés, changés en jougs,
De l’aimé perdu l’amour vorace,
D’autres maux, d’autres morts, d’essais flous !

Le trou, profond, profond et sans grâce,
Inquiète, afflige - absorbe un de nous !
De te voir partir m’atteint, me glace :
Bien trop tôt ton tour ! Noirs manitous,
Croche-becs, planent rond, l’air rapace !




Séquences rythmiques :


Vide rythmé


Tati - Tati / Tati et Tata
Tati - Tati / Tati et Tata
Tatititata / Tatitata
Tatititata / Tatitata
Tatati / Tatati / Tatata

Tati - Tati / Tati et Tata
Tati - Tati / Tati et Tata
Tatititata / Tatitata
Tatititata / Tatitata
Tatati / Tatati / Tatata (Ce sont, sans / Entorse !)

Tati - Tati / Tati et Tata
Tati - Tati / Tati et Tata
Tatititata / Tatitata
Tatititata / Tatitata
Tatati / Tatati / Tatata

Tati - Tati / Tati et Tata
Tati - Tati / Tati et Tata
Tatititata / Tatitata
Tatititata / Tatitata
Tatati / Tatati / Tatata



O K ? (Ce sont des ennéasyllabes)


Mais, hors exercice, il y faut plus de nuance, une bonne musique sera toujours le résultat d’un mélange savamment dosé entre instinct et rigueur, le rythme, entre les coupes, les césures, le tempo intrinsèque des mots et le battement du sens dans la veine, le rythme
est une notion primordiale !

Jadis, la poésie n’était pas rimée, elle était rythmée !
La rime n’est une évolution que dans la mesure où une dimension se rajoute au lyrisme antique.

Impréhensiblement, tous les mètres seront utilisés, y compris l’absence de syllabe, dont le « trou » sera toutefois indiqué par une ponctuation forte ;
exemple tiré de « Spagirie » qui parle justement de ça :


(…)


Régisseurs, agençant les sons et les mots,

!!
Vous déformez en ovale onze au son faux.

?
Aux alexandrins, la voie ardue est ouverte :


Ni d’yeux ni mètre aveugle, au pire en pure perte !



Ah, la ponctuation !

Glissons vers ce sujet connexe, vous savez que je suis payé à la ligne, il en manque un peu pour les azulejos de la piscine…
La ponctuation est une partie intégrante du langage ; ce point-virgule, par exemple, marque l’entrée de la présente digression, ce signe fort (double) peut aussi faire office d’un « deux-points » un peu adouci.

- Voyons ces vers , tirés de « Cautèle céleste » :


(...)
Où l’arc en fiel lâche ses traits,
Le poète est censé se taire ;
Silence atone aux doux attraits…
(…)


Hein ? on pourrait presque poser deux points, après « taire », ce serait, disons, plus brutal !
(A noter que, dans ce cas, les trois points de suspension du vers suivant perdraient de leur à propos)

Chaque fois que possible, c’est à dire chaque fois que l’ouverture au sens n’est pas gênée, l’impréhensible, tel que nous l’a enseigné, par exemple Apollinaire, qui en exagère parfois le non-usage, l’impréhensible se passera de ponctuation.
Or, les bonnes occurrences sont rares ; on pourra aussi tenter de la simplifier, la réduire aux signes « forts » (doubles), se contenter d’une seule virgule, dans un texte où elle apparaît indispensable, la décaler savamment (l’exclamation peut, notamment, parfois
prendre avantageusement place dans une phrase interrogative, lui ajoutant quelque nuance théâtrale :

Et comme aux volontés du poison des crotales,
Serais-tu mort ! que tu t'étales...

Pour ardue, l'étude est pertinente, et concerne nos rouages internes les moins visibles, lesquels semblent réguler les nuances d'expressions les plus subtiles...
La ponctuation est l’équivalent littéraire des muscles du visage, qui soulignent une affirmation ou un doute, des mouvement des mains, étayant quelque furieuse profession de foi, de la tessiture de la voix, montant crescendo dans les aigus ou s’évanouissant en points de suspension…

La ponctuation est une machinerie linguistique à part entière, qu’elle soit prégnante ou sous-entendue, exaltée ou niée, elle est une respiration de la phrase, possède une symbolique confuse, une liturgie mystérieuse, des pouvoirs occultes, une volonté propre…
L’impréhensible travaille à établir quelque dimension poétique parallèle, avec l’aide de cet outil aux multiples possibilités, la recherche est âpre, presque stérile, mais non désespérée ; et si les résultats sont piètres ou se font attendre, la certitude est acquise
d’un potentiel magique quasi inexploité.

Il est à noter que certaines règles de ponctuation semblent incompatibles avec l'agencement du vers, ainsi en est-il des parenthèses, dont nul n'est censé ignorer qu'elles doivent précéder le signe (telle que la phrase présente nous le confirme) !
Or, sans même évoquer la ponctuation à l’intérieur des parenthèses, à cause du retour requis à la ligne, cette obligation apparaît souvent déplacée, en poésie formelle, et gagnera à être transgressée, pour de simples raisons de compréhension (exemple tiré de
« Dame de Pique ») :


(...)
Fugitive et tendre,
Gaie, un peu rouée,
(Je pourrais te pendre !)
Avide de tendre
A toute trouée
L’aile dénouée
D’un cil sensuel,
Ce rire frondeur,
Et consensuel,
Et presque duel,
D'où flirte une odeur
Piquante de fleur…
(...)


Si la phrase était écrite en ligne, la virgule, qu'on lit ici après « rouée », suivrait, sans trop de souci pour l’œil, la parenthèse finale, mais, le texte, poétiquement agencé (retour à la ligne), perdrait en cohésion apparente, car cette virgule nous semblerait incongrue !

Le débat n'est pas clos ; nous opterons quand à nous pour le type de manœuvre présenté dans l'exemple, voire pour l'apocope pure et simple du signe.

Nous finirons ce symposium par – justement – une de ces tentatives dont le tâtonnement,
encore ici malhabile, souffrant, à l’instar du texte "rythmique" précédent, d’une trop évidente précision, est malgré tout prometteur ; ici, la structure de la ponctuation finale, et des tercets, est celle d'un sonnet irrégulier :



Punctuare

- Sonnet-


L’astre était comme un bec :
Cornu, crochu, laid, sec !
Couché ras vers le pôle !
- Voyez la lune molle :

Un pilastre éclaté !
Et dans le ciel lacté :
Tout luit ! Et puis, regarde :
Tout fuit ! O nuit hagarde !

Es-tu pour toujours, Noir ?
Funeste intercesseur...
Es-tu seul assommoir ?

… L’étendue est rongée ;
Au cosmos replongée ;
La Camarde est ta soeur...



Salut ?
Salus !


Marcek
Membre
Messages : 5106


Posté à 10h45 le 13 Nov 17

Au passage, une pensée émue à ce pauvre Patrice!
Qu'il repose en paix !


Salus
Membre
Messages : 6953


Posté à 19h23 le 13 Nov 17


Bien sûr !
(on a le droit d'aimer)


Saintes
Membre
Messages : 1614


Posté à 07h23 le 19 Nov 17

Ah ! Salus la syncope me guette,
Je divague, je rame, me jette,
(À quel saint, quelle image se vouer ?).
À corps perdu c'est certain, je nage
Et trop ignorant du fait, j'enrage.

J'attends une correction (??)


Aurorefloreale
Membre
Messages : 5964


Posté à 07h47 le 19 Nov 17

Ah , j'ai bien aimé ces explications , moi qui apprécie l'emploi de la ponctuation car elle peut changer tout le cours de l'interprétation personnelle, à la limite changer le rythme et même parfois le sens du poème d'après moi... Et ces ennéasyllabes elles sont vraiment rythmiques , impressionnantes!
Merci j'ai su mieux percevoir ce qui a été expliqué ici!


Salus
Membre
Messages : 6953


Posté à 16h35 le 19 Nov 17


A Aurore :

Les énnéasyllabes sont des garçons !

A Saintes : Si tu veux faire du "classique","Vou-er", c'est une diérèse !

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