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Posté à 07h48 le 03 Oct 19
Fraternité
La fratrie, ce vieux mot qui venant du sanscrit en passant par le grec est devenu « frater » chez les romains et désignait le lien unissant les enfants d’une même famille.
Parmi les premiers, les chrétiens ont étendu cette notion à l’ensemble de leur groupe. A l’intérieur de celui-ci tous les membres étaient et sont sœurs ou frères. D’autres groupes ont puisé dans cette acception du mot et il se constitua alors des « fraternités » qui, au moyen âge, rassemblaient des personnes dans un but souvent religieux mais également des personnes d’une même corporation ou partageant un même idéal tel les ordres de chevalerie.
En lisant la Bible on comprend, que dès le début, la fratrie issue d’Adam et Eve ne serait pas de tout repos. Caïn tue son frère Abel. Plus tard Esaü et Jacob se disputent pour un droit d’ainesse et un plat de lentille.
Les mythologies ne sont pas avares de fratricides, les égyptiens avec le meurtre d’Osiris par son frère Set, les romains avec Romulus qui trucide Rémus , les celtes, les indous et bien d’autres encore puisent leurs origines dans des mythes similaires.
A y regarder de plus près on voit bien que la notion de fratrie aimante et par là de fraternité n’est pas si naturelle qu’on pourrait le penser.
Mais qu’est-ce que cette fraternité ?
Notre République a une vocation fraternelle. Sa devise nous le rappelle, la plaçant toutefois en troisième position après la liberté et l’égalité.
Elle n’intègre d’ailleurs la devise qu’en 1848 avec la IIème République et les grands idéaux universalistes qui traversent l’Europe à cette époque.
La fraternité d’alors était essentiellement vouée aux peuples européens, mais évidemment et comme aujourd’hui encore elle était d’abord un souhait et un devoir qui dans l’esprit des gens était accompli par des citoyens français pour d’autres citoyens français.
La fraternité apparait dans la devise en même temps que les premières notions de droits sociaux parce qu’elle est aussi un principe constitutionnel.
Dans l’article 4 de son préambule la constitution de 1848 précise que "La République a pour principe, la Liberté, l'Égalité et la Fraternité »et que "Les citoyens doivent concourir au bien-être commun en s'entraidant fraternellement les uns les autres", puis dans l’article 8 du préambule on lit : "La République doit par une assistance fraternelle assurer l'existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d'état de travailler".
Cette fraternité-là a des frontières. Elles sont plus étendues que celles des anciennes fraternités de métiers ou autres fraternités religieuses mais elles restent limitées à un groupe. Le groupe est simplement plus nombreux et le territoire qui le contient plus vaste.
Elle a une couleur de compassion, de sollicitude envers les plus démunis et elle donne en quelque sorte une réponse politique à la question « Qu’as-tu fait de ton frère ? » que dans la Genèse Dieu posa à Caïn, quand il vit Caïn seul après que celui-ci eut tué son frère Abel.
Jules Michelet a écrit « la fraternité c’est le droit par-dessus le droit » c’est en quelque sorte ce qu’a rappelé le Conseil Constitutionnel quand il a considéré dans sa décision du 6 juillet 2018 que, je cite :
Aux termes de l'article 2 de la Constitution (celle de 1958): « La devise de la République est "Liberté, Égalité, Fraternité" ». La Constitution se réfère également, dans son préambule et dans son article 72-3, à l'« idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité ». Il en ressort que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle. Et qu’il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national.
Mais pour moi la fraternité n’est pas qu’un droit, elle participe davantage du sentiment que l’autre, mon proche, mon parent mais aussi l’autre, l’étranger est comme moi Homme .
A l’interrogation de Dieu « qu’as-tu fait de ton frère ? » Caïn répondit par une autre question : « suis-je le gardien de mon frère ? »
Suivant la réponse qu’on donne à cette question la fraternité se manifeste plus ou moins, avec des conséquences diverses.
Si un voisin tombe malade, on sait qu’il sera pris en charge par la sécurité sociale, cet organisme qui est issu du principe constitutionnel de fraternité et on peut en rester là en pensant que la fraternité se manifeste ainsi. Ce qui est en partie vrai. Mais ne serait-ce pas dans le fond que de la solidarité ?
Car on peut aussi se rapprocher de son voisin malade et tout en sachant qu’il est pris en charge par la sécurité sociale lui faire savoir qu’on est là à ses côté et témoigner en quelque sorte de son humanité. Là est sans doute la fraternité. Ce lien qui unit dans le temps et dans l’espace.
La fraternité entraîne le respect de l’autre comme étant un autre soi.
La solidarité se vit de plus en plus fréquemment comme une forme d’engagement solidaire mais celui-ci cache souvent me semble-t-il, même aux yeux de ceux qui le pratique, la seule motivation d’un accomplissement personnel.
Je ne sais comment dire mais j’ai vraiment cette sensation que la solidarité devient une sorte d’endroit où l’individu vient pour s’accomplir, et penser à lui.
Quand je regarde le Téléthon et que je vois les gens faire des performances pour être solidaires des malades et des chercheurs, je n’arrive pas à me défaire de la pensée que la performance personnelle (même si c’est un groupe) prime, mine de rien, sur le sentiment.
Bien sûr cette solidarité est active et permet de lever des fonds, mais est-elle fraternelle ?
Sur le plan social la solidarité est codifiée, légiférée, elle est l’expression législative de la fraternité, elle octroie des droits et implique des devoirs.
Mais tout ceci est inclus par principe dans un cadre institutionnel et la solidarité ainsi définie ne peut franchir les limites à l’intérieur desquelles s’exerce le pouvoir de l’institution.
Le monde a jusqu’à ce jour fonctionné ainsi et les cadres institutionnels ont fini par réduire le principe de fraternité à celui de solidarité.
J’ai lu quelque part que Nietzshe parlait « d’aimer son lointain comme soi-même » à l’heure d’internet et des possibilités immenses de communications il devrait être plus facile d’aimer son lointain et pourtant…
Nous en sommes toujours à aimer plus facilement notre proche, ce qui semble plus naturel puisqu’on le connaît.
Mais la fraternité est plus exigeante et même si pour la faire naître et la développer il me parait nécessaire de l’exercer continuellement entre proches, elle est appelée à déborder le cadre de nos relations au risque de ne rester que de la solidarité, certes essentielle mais pas universelle.
Cette fraternité là puisqu’elle n’est pas évidente est de mon point de vue un combat. Un combat d’abord contre soi-même, contre nos préjugés, un combat d’idées.
Cette fraternité va être mise à rude épreuve dans les prochaines décennies, quand des hommes devront quitter les lieux où ils vivent parce que outre les guerres qui y règneront leur pays sera en partie recouvert par la mer, quand d’autres partiront également de chez eux parce qu’ils n’auront plus d’eau. Ces mouvements de populations, ces migrations ont commencé, ils vont s’amplifier.
Pour ceux qui comme moi pensent que la fraternité est une valeur fondamentale, il faut nous y préparer; nous aurons à la défendre car elle sera alors davantage encore mise à mal.
Déjà en Europe, les solidarités recroquevillées dans les limites de leurs pays s’expriment, elles peuvent très vite s’affronter.
Sans doute devrons-nous entrer en résistance, pour faire valoir nos idéaux car ils ne seront plus dans l’air du temps, et l’espace naturellement universel de la fraternité sera réduit à sa portion congrue, une fraternité ne servant que soi-même.
L’universel est le véritable espace de la fraternité… et la résistance à ses vertus.
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Ann
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Posté à 08h31 le 03 Oct 19
Ton texte est très complet. Il soulève plusieurs thèmes et notions.
En vrac ce qui me vient après lecture :
La fraternité serait l'intermédiaire entre la solidarité et l'amour. Comme tu le dis, on ne peut aimer que celui qu'on connait et l'heure d'Internet n'y change rien ou pas grand chose. Il permet juste d'élargir les possibilités de rencontres amorçant d'aussi rares occasions d'aimer que les rencontres fortuites au café, au travail etc.
la solidarité est un devoir simplement. On donne un coup de main à un groupe qu'on ne connait pas comme un voisin qui se serait cassé une jambe sous ma fenêtre. Même si c'est un fieffé connard qui me casse les pieds depuis dix ans pour un rosier mal taillé, je vais lui porter secours dans le genre : "Prenez votre temps, les pompiers. Il n'a même pas été foutu de faire une crise cardiaque".
La fraternité exige à mon sens une connaissance de l'autre, un intérêt commun. Il fait appel au moins autant aux sentiments qu'au devoir. C'est un groupe constitué entre choix et situation de départ imposée comme la famille ( il y a des exceptions)
la fraternité est un truc qui doit être un élan naturel.
Et puis, il y a la notion de survie. Pour mon groupe, pas de quartier pour l'étranger. La concurrence quoi ! Cain. Il y a le feu à l'école, ne vas-tu pas commencer par sortir tes enfants, voire ta maitresse préférée. Tu finiras par son amant si tu as le temps. Nous ne sommes que des humains.
Pas étonnant le Fraternité aie attendu 1848 pour apparaitre sur les frontons des mairies alors que certaines églises ne soient contentées de Liberté et égalité peinturlurées par les républicains.
On ne peut pas couper des têtes et crier Fraternité.
Je trouve le mot confrérie plus honnête car il rassemble des gens aux intérêts communs, ils défendront donc les miens sinon les autres m'attendent au tournant dès qu'il s'agit d'héritage.
Une confidence : Je m'aime moi, mon mari je l'ai aimé plus et mes enfants tout pareils, même quand ils sont cons comme des briques.
Tous les autres, j'ai des sentiments variant de l'indifférence à une profonde amitié. ça suffirait pour parler de fraternité ? Quoi faudrait que j'y intégre mes ennemis, mes adversaires...
Je te quitte pour y réfléchir.
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