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Auteurs Messages

Jim
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Posté à 05h58 le 16 Jun 20

Extrait de la pastorale Aucassin et Nicolette, d'un auteur anonyme contemporain de Saint-Louis. Traduction de Alfred Delvau (1866).

(...)

Aucassin et sa mie descendirent donc, comme vous venez de l'entendre ; cela fait, il prit son cheval par la bride et sa mie par la main, et tous s'en allèrent ainsi le long du rivage, tant et tant qu'ils aperçurent des mariniers auxquels ils firent signal et qui, ayant abordé, consentirent à les prendre avec eux dans leur nauf.
Une fois en pleine mer, une tourmente s'éleva, si merveilleusement grande, qu'elle les mena de terre en terre jusqu'au port du château de Torelore. Ils demandèrent quel pays c'était : on leur répondit que c'était le pays de Torelore. Aucassin demanda quel en était le roi, quel homme il était, et s'il était en guerre.
En guerre, oui, et très-grande, lui répondit-on. Lors, remerciant les mariniers, il prit congé d'eux, remonta sur son cheval, ayant toujours sa mie devant lui, et s'en alla ainsi vers le château où il s'informa du roi.
Il est en gésine, lui répondit-on.
Et sa femme ?
Sa femme est à l'armée, où elle a mené tous les gens du pays.
Aucassin, entendant cela, fut bien étonné. Il alla au palais, descendit avec sa mie, et, pendant qu'elle gardait son cheval, il monta vers la chambre où gisait le roi.


Ici l'on chante

En la chambre entre Aucassin
Le courtois et le gentil.
Puis il s'en vient jusqu'au lit,
Où pour l'heure le roi gît,
Et s'arrête tout surpris.
Écoutez ce qu'il lui dit :
- Diva ! Que fais-tu ici ?
- Je suis en couche d'un fils.
Mon terme enfin accompli
Alors j'irai messe ouïr,
Comme mon ancêtre fit,
Et en guerre m'esbaudir
Contre tous mes ennemis,
Sans y manquer :


Ici l'on dit, conte et fabloye

Entendant le roi parler ainsi, Aucassin releva les draps qui le couvraient et les jeta au milieu de la chambre ; puis, apercevant un baston, il le prit et l'en frappa si rudement qu'il dut le tenir pour tué.
Ah ! Beau sire, dit le roi, que me demandez-vous ? Avez-vous donc le sens dérangé pour me venir battre ainsi dans ma propre maison ?
Par le cœur-Dieu ! répondit Aucassin, je vous tuerai, mauvais fils de putain, si vous ne me jurez que jamais plus homme de votre terre ne sera en mal d'enfant !
Le roi promit. Lors, Aucassin : Maintenant, sire, menez-moi à l'armée où est votre femme.
Sire, volontiers, répondit le roi.
Ils descendirent. Le roi monta sur un cheval, Aucassin sur le sien, et, pendant que Nicolette se réfugiait en la chambre de la reine, tous deux s'en allèrent à l'armée. Au moment où ils arrivèrent, la bataille était dans toute sa rage, une bataille à coups de pommes sauvages, d’œufs et de fromages mous. Aucassin, voyant cela, fut grandement étonné.


Ici l'on chante

Aucassin est donc resté,
Pris de grand étonnement.
Il commence à regarder
ce combat en rase plaine,
Où les combattants se servent
D’œufs, de fromages, de pommes
Et de champignons coupés,
Engins d'un genre nouveau.
Quiconque aurait mieux troublé
L'eau des ruisselets voisins
Pour vainqueur était tenu.
Aucassin le preux baron,
En les voyant faire ainsi
Se prit à rire.


Ici l'on dit, conte et fabloye

Aucassin, allant vers le roi, lui dit : Sire, sont-ce là vos ennemis ?
Oui, sire, fit le roi.
Voudriez-vous que je vous en vengeance ?
Volontiers.
Lors Aucassin, l'épée à la main, se lança en pleine mêlée, frappant d'estoc et de taille, à dextre et à senestre, si bien qu'en moins de rien il tua un assez bon nombre de gens. Il en eût tué davantage, si le roi, courant au-devant de lui, ne l'en eût empêché en arrêtant son cheval par le frein.
Ah ! Beau sire, lui cria-t-il, ne me les tuez pas ainsi !
Mais comment voulez-vous que je vous en venge autrement ? Demanda Aucassin.
Sire, vous en avez assez fait ; nous n'avons pas coutume de nous entre-tuer ainsi les uns les autres : nous nous mettons seulement en fuite...
Ils s'en revinrent au château de Torelore, où les gens du pays conseillèrent au roi de chasser Aucassin et de garder Nicolette pour son fils, cette gente pucelle leur semblant femme de haut lignage. Nicolette, entendant cela, au lieu de s'en réjouir, s'en chagrina.


Ici l'on chante

Sire, roi de Torelore,
Dit la belle Nicolette,
Vos gens me tiennent pour folle
Quand mon doux ami m'accole.
Plaise à Dieu, qui fit l'amour,
Que je reste à cette école !
Il n'est danses ni chansons
De harpes et de violes
Valant cela.


Ici l'on dit, conte et fabloye

Aucassin, ayant avec lui Nicolette, sa douce amie que tant il aimait, menait grande aise et beau déduit au château de Torelore. Sur ces entrefaites survinrent par mer des Sarrasins qui donnèrent l'assaut ai château et le prirent de force. Le château pris, ils emmenèrent captifs les habitants, parmi lesquels Aucassin et Nicolette qu'ils jetèrent, celle-ci dans une nauf, celui-là dans une autre, après lui avoir lié les mains et les pieds.
En route, une âpre tourmente s'éleva qui sépara les navires les uns des autres. La nauf où était Aucassin erra tant et tant à la merci des vagues que, finalement, elle s'en vint échouer devant Beaucaire, dont les habitants s'empressèrent d'accourir pour la piller en vertu du droit d'épaves. Ils reconnurent Aucassin leur damoisel, et ils en firent grande joie, ne comptant plus le revoir jamais, depuis trois ans qu'il était absent d'eux, trois ans pendant lesquels son père et sa mère étaient morts. Ils l'emmenèrent au château de Beaucaire où ils l'acclamèrent pour leur maître et seigneur au lieu et place du comte Garin. Aucassin tint sa terre en paix.


Ici l'on chante

Aucassin sen est allé
A Beaucaire, sa cité ;
Le pays et le royaume
Sont bien gouvernés par lui.
Mais, par Dieu de majesté !
Ce qui lui pèse le plus,
c'est Nicolette, sa mie,
sa seule famille aussi,
dont il se sent séparé.
Douce amie au clair visage,
je ne sais où vous chercher ;
et pourtant il n'est pays,
soit de terre, soit de mer,
où je ne voulusse aller
pour te chercher !


Ici l'on dit, conte et fabloye.

(…)

Qu'adviendra-t-il de Nicolette ? Elle et son jouvenceau se retrouveront-ils ? Dans quelles circonstances, après quelles péripéties ? Quelle sera leur destinée ? Vous le saurez en lisant le prochain épisode des trépidantes aventures d'Aucassin et Nicolette, les tourtereaux provençaux !

Note: Torelore = Aigues-Mortes


Vie
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Posté à 07h55 le 16 Jun 20

Ho!!!!
Plaisir de te lire Jim !!!! Salut


Pierre
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Posté à 08h53 le 16 Jun 20

Jim!!!!!

Salut à toi, comment vas tu?
Je te lirai plus tard...


Pierre
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Posté à 09h09 le 16 Jun 20

Finalement j'ai lu…
et attend la suite. cool


Vie
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Posté à 10h26 le 16 Jun 20

J'y reviens parce que les odeurs de foucasse traditionnelle me chatouillent le nez et que dire de tout ce patrimoine laissé en partage...
Que cela fait du bien! clindoeil



Evemarie
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Posté à 13h25 le 16 Jun 20

He hé coucou Jim, c'est plaisir de te revoir.


Jim
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Posté à 15h41 le 17 Jun 20

Evemarie, Pierre, bien le bonjour ! J'espère que vous avez bien galipetté durant mon séjour de quelques cycles cygnusiens à travers le gros tas galactique ! Les rayons comiques ont achevé de peler mon crâne en œuf et de creuser quelques sillons martiens sur ma face cachée, mais mon image, sourire au bec, me reconnait encore, donc tout va bien, chers marquise et marquis. Lors de mon périple, je ne me suis guère ennuyé malgré le spectacle désolant offert par les Yahoos, accompagné que j'étais par deux potes issus de Sirius pour l'un, de Saturne pour l'autre. Voilà, vous savez presque tout, du moins de ce résidu en fond d'éprouvette existentielle qu'on nomme cinquième essence !


Jim
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Posté à 15h50 le 17 Jun 20

Bien le bonjour, Ensuspens... On se connait ? J'en doute, c'est une bonne raison pour commencer. Donc, cher prénom alfredien, le mystère reste entier en ce qui vous concerne, car vous me semblez petit nouveau, ou équivalent féminin, tandis que je deviens, d'autant plus sûrement que très lentement, solide ceps au pied de l'ivresse sans laquelle il ne ferait pas bon rire. Le rire, c'est la santé, mentale, surtout en ces temps viraux jaune qui n'en portent pas l'ARN. Popogne serrée, à la lecture !



Ce message a été édité - le 17-06-2020 à 15:51 par Jim


Jim
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Posté à 15h55 le 17 Jun 20

Pierre, la suite des aventures du benêt Aucassin et de Nicolette la futée, arrivent, le temps de les saisir par la taille, Nicolette surtout, en respectant une chronologie épisodique digne de G. Lucas. clindoeil


Vie
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Posté à 21h18 le 17 Jun 20

« Car je veux être reine de mes soleils et de mes peines, tenir les clefs des cités que je hante et garder enclose dans ma parole la fugitive vie que je m’émerveille d’entendre battre à mes tempes. » Mireille Sorgue


Jim
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Posté à 23h28 le 17 Jun 20

Rien à voir avec celle de Mistral, n'est-ce pas Ensuspens ? L'autrice motrice, ou auteuse-fauteuse, ou auteure-as-tu l'heure, bref l'écrivain non vaine qui écrivit "L'Amant" et "Les lettres" au sus-dit, vécut à Toulouse quand j'avais une dizaine d'années et peut-être l'ai-je croisée en toute ignorance. Le mystère reste plein et entier, et le restera. Je l'ai lue l'année du bac, et l'ourson que j'étais en fut tout émoustillé : qu'elle parle bien de la main ! Entre deux marées littéraires débordantes de varech, j'en recommande hautement la lecture, pour le plaisir de l'ouïe, et découvrir ce qu'est bien écrire. Sourire



Ce message a été édité - le 17-06-2020 à 23:30 par Jim


Vie
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Posté à 07h02 le 18 Jun 20

Jim,

Voilà plus de dix ans que tu me les as fait lire ces deux livres Mdr


Pierre
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Posté à 08h14 le 18 Jun 20

Jim tu parles de Mistral, je viens de commencer un recueil de Paul Froment... Avec mon occitan de pacotille je vais piano piano... Mais ça me parle (comme il se dit maintenant...).


Jim
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Posté à 18h29 le 14 Jul 20

Alors, Pierre, tu seras content, je scotche bientôt du Péire Godolin pour lequel je viens d'ouvrir un topic dans pithécanthrope incontournable ! Mdr


Jim
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Posté à 21h39 le 14 Jul 20

AUCASSIN & NICOLETTE
(partie - 1)


Qui veut ouïr de beaux vers,
Amusement d'un vieillard,
Touchant deux chers beaux enfants,
Aucassin et Nicolette,
Rossignolet et fauvette ?
Nous allons chanter ici
Les misères qu'il souffrit
Et les prouesses qu'il fit
Pour sa mie au clair visage.
Doux, le chant ; beau, le récit,
Courtois et bien composés.
Il n'est homme si chagrin,
Si marmiteux, si malade,
Qui ne soit tout resbaudi,
Remis et regaillardi
Par cette histoire amoureuse,
Tant douce elle est.


Ici l'on dit, conte et fabloye.

Le comte Bougars de Valence faisait si âpre et rude guerre au comte Garin de Beaucaire, qu'il ne se passait pas un seul jour nébuleux sans qu'il en profitât pour se porter aux murs et aux barrières de la ville à la tête de cent chevaliers et de dix mille serviteurs à pied et à cheval, lesquels saccageaient et gâtaient le payx dont ils massacraient les habitants.
Le comte Garin de Beaucaire, qui était vieux et cassé et avait trépassé de beaucoup son temps, n'avait nul héritier, nul fils, nulle fille, fors un seul jouvenceau qui avait nom Aucassin. Aucassin était bel et gent, grand et bien taillé de jambes et de pieds, de corps et de bras. Il avait les cheveux blonds, fins et crespelés, les yeux vairets et riants, le nez haut et bien assis, la face claire et attrayante, et il était si bien pourvu de qualités qu'il eût été difficile d'en trouver une mauvaise emmi les bonnes. Mais il était si fort pris par l'Amour, ce grand vainqueur, qu'il se refusait à s'occuper d'autre chose, par exemple à être chevalier, à prendre les armes, à assister aux tournois, à faire enfin aucune des choses qu'il dût faire. Son père et sa mère en étaient marris.
Fils, lui dit un matin le vieillard, prends tes armes, monte à cheval, défends ta terre, aide tes hommes. Quand ils te verront au milieu d'eux, ils auront plus de courage pour défendre leurs corps et leurs biens, ta terre et la mienne.
Père, répondit Aucassin, de quoi me parlez-vous là ? Que Dieu ne me donne jamais rien de ce que je lui demanderai, si je monte à cheval, si je vais à tournoi ou à bataille avant que vous ne m'ayez donné vous-m^^eme Nicolette, ma douce amie que tant j'aime !
Fils, dit le père, cela ne peut être. Laisse la ta Nicolette, une captive amenée d'étranger pays par les Sarrasins et achetée par le vicomte de cette ville. Il l'a élevée, baptisée et faite sa filleule ; un de ces jours il la donnera à quelque brave gars qui lui gagnera du pain par honneur. De cela, toi, tu n'as que faire, et quand tu voudras prendre femme, je te donnerai la fille d'un roi ou d'un comte. Il n'y a si riche homme en rance dont tu ne pusses avoir la fille, si tu le souhaitais.
Hélas ! Père, dit Aucassin, il n'est au monde de si riche seigneurie qui ne fût convenablement occupée, si Nicolette, ma tant douce amie, la possédait. Elle serait impératrice de Constantinople ou d'Allemagne, reine de France ou d'Angleterre, qu'elle ne pourrait être plus courtoise et plus débonnaire, avec de meilleures mœurs et de plus saines vertus.

Ici l'on chante

Aucassin n'a pas de cesse
Que son père ne lui laisse
Nicolette, la bien faite.
Lors, sa mère le menace :
- Ah ! Pauvre ! Que veux-tu faire !
- Nicolette est cointe et gaie.
- Nicolette, une captive !
Puisque femme tu veux prendre,
Prends femme de haut lignage...
- Mère, je ne puis le faire...
Nicolette est débonnaire ;
Son corps gent, son clair visage,
Sont les maîtres de mon cœur,
Il faut que son amour j'aie,
Car trop est douce !


Ici, l'on dit, conte et fabloye.

Quad le comte Garin de Beaucaire vit qu'il ne pourrait déloger Nicolette du cœur d'Aucassin, il alla trouver le vicomte de la ville, son vassal, et il lui dit :
Sire vicomte, il faut au plus tôt nous débarrasser de Nicolette, votre filleule... Maudit soit le pays d'où elle a été amenée, car à cause d'elle, je perds Aucassin, qui ne veut pas être chevalier et se refuse à faire ce qu'il doit. Sachez que lorsque je la pourrai tenir, je la ferai brûler, et vous-même devrez avoir toute peur pour vous !
Sire, fit le vicomte, comme à vous il me pèse qu'Aucassin aille et vienne pour chercher à parler à Nicolette. Je l'ai achetée de mes deniers, je l'ai élevée, baptisée et faite ma filleule. Je voulais la donner à femme à quelque jeune gars qui se fût fait honneur de lui gagner du pain, ce que n'eût pas su faire Aucassin votre fils. Puisque votre volonté et votre plaisir sont autres, je vais envoyer la fillette en telle terre et tel pays, que jamais plus Aucassin ne la verra de ses yeux.
Qu'il en soit ainsi, fit le comte Garin, sinon il pourrait vous en advenir de grands maux.
Ils se dépatirent. Le vicomte avait un riche palais, clos de hautes murailles et bordé de jardins ombreux. Ils fit mette Nicolette au plus inaccessible étage, avec une vieille pour toute compagnie, et aussi avec une provision suffisante de pain,de viande, de vin, et généralement de tout ce dont il pouvait être métier. Puis il en fit sceller la porte de telle sorte que nul ne pût entrer ou sortir, ne laissant d'autre ouverture qu'une fenêtre prenant vue sur le jardin, mais trop étroite pour le passage de l'air pur.

Ici l'on chante

Nicole est en prison mise,
Dans une chambre voûtée
Faite avec un très-grand art
Et merveilleusement peinte.
A la fenêtre de marbre
S'appuya la jeune fille.
Blonde était sa chevelure,
Bien faits étaient ses sourcils ;
Sa face, attrayante et chaste :
Jamais plus belle ne fut !
Son regard, dans le jardin,
Vit la rose épanouie
Et les oiseaux qui jouaient.
Lors se plaignit l'orpheline :
Las ! Que je suis malheureuse !
Pourquoi suis-je en prison mise ?
Aucassin, damoiseau sire,
Depuis un longtemps déjà
Je suis votre douce amie,
Vous ne me haïssez pas.
C'est pour vous que je suis mise
En cette chambre voûtée
Où traîne ma triste vie ;
Mais, par Dieu, fils de Marie,
Longuement n'y resterai,
Si je puis faire !


Ici l'on dit, conte et fabloye.

-o-o- à suivre -o-o-



Ce message a été édité - le 14-07-2020 à 21:45 par Jim

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